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la voix du terrible Calabrais, et, l’aiguillon de la jalousie le piquant, il sentit plus de dépit que de crainte. Les rivaux s’emparèrent du fiacre qu’il venait de quitter, et partirent pour Naples. Un moment après, les lumières du salon s’éteignirent; une lueur moins vive éclaira la chambre à coucher de la belle veuve. C’était le moment favorable pour la sérénade. Geronimo chanta sa sicilienne sotto voce et du ton le plus tendre, en s’accompagnant à la sourdine. Rien ne bougea dans la maison. Notre abbé, un peu déconcerté, répéta d’une voix plus forte le dernier couplet. A la fin, la fenêtre s’ouvrit :

— Ce n’est pas mal, dit Lidia, pour un chanteur des rues. De quelle part venez-vous, brave homme?

— De la part du seigneur Geronimo, dit le groom, voyant que son patron n’osait se faire connaître.

— Tu le remercieras de la bonne intention, reprit la dame. Voici un double carlin pour le chanteur, et autant pour toi, Antonietto. Dis à ton maître que j’ai compris le sens de ces paroles : Pri un guardù iù murirò; mais qu’il se rassure : ce regard échangé à Capo-di-Monte ne causera pas sa mort; je lui en donne ma parole.

La fenêtre se referma aussitôt, et tandis qu’Antonietto mettait avidement les deux pièces d’argent dans sa poche, Geronimo, triste et honteux, reprenait à pied le chemin de Naples sans regarder derrière lui. Son amour-propre blessé cherchait par quelle étrange erreur Lidia l’avait pu prendre pour un chanteur des rues. Il interrogea son groom à ce sujet, et, Antonietto lui ayant répondu que la contessina ne se connaissait pas en musique, il retrouva sa sérénité d’esprit accoutumée.

Tous ces manèges duraient depuis deux mois approchant, lorsque Lidia écrivit à Geronimo pour lui annoncer qu’il pouvait enfin se présenter à elle et à sa famille. Sur une liste de personnes respectables que lui envoyait sa maîtresse, l’abbé trouva un chanoine de sa connaissance qui consentit à l’introduire dans la maison. Le jour fut choisi pour la première visite, et Geronimo se para, dès le matin, de son habit neuf. La discrétion ne lui paraissant plus de rigueur, il raconta ses projets et ses espérances au chanoine en le conduisant en fiacre à San-Giovanni-Teduccio. La calèche à un cheval s’arrêta devant la maison de Lidia. Antonietto tira de toutes ses forces le cordon de la sonnette et baissa le marche-pied. La servante vint ouvrir en faisant des sourires et des mines d’intelligence de bon augure. On traversa un vestibule pavé en mosaïque et orné de fresques en grisaille; par une porte entr’ouverte, on voyait dans la salle à manger les restes d’un déjeuner copieux; notre abbé observa que tout respirai! l’aisance comfortable dans cette maison. La servante conduisit les visiteurs dans un petit jardin, au fond duquel étaient trois personnes assises à l’ombre d’un citronnier. C’étaient Lidia, son père le lampiste de