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se donner de la mémoire et des jambes, voici un carlin dont je te fais un rigal.


III.

Comment le bon Geronimo, avec ses vingt ans, son visage d’Adonis, et la persuasion intime de la supériorité de son mérite, aurait-il pu douter d’un amour si ingénûment avoué, en termes si flatteurs, par écrit et verbalement ? Il n’en douta pas, et il eut raison. L’épître de Lidia et les paroles rapportées par le petit messager inspirèrent à notre abbé autant de confiance que de passion. Il se mit en devoir de quitter bientôt le petit collet, le rabat et le tricorne à larges bords pour endosser l’habit bleu à boutons d’or et le gilet de couleur changeante. Son imagination, qui lui représentait la veille encore son bonheur environné d’écueils, ne voyait plus dans l’avenir apparence de difficultés. Il ne parlait plus à ses amis qu’en style mystérieux, en propos interrompus, où les mots d’avenir magnifique et de brillant mariage revenaient souvent, et il crut avoir montré la prudence d’Ulysse en n’allant pas jusqu’à dire le nom de sa future épouse. Dans le monde qu’il fréquentait, le bruit courut alors qu’il faudrait bientôt lui retenir un logement à Aversa qui est, comme vous le savez, le Charenton de Naples. On riait en le voyant passer dans la rue Tolède, la tête haute et les yeux baissés, suivi de son groom en haillons, l’un rêvant un carrosses, et l’autre une livrée.

La fête de l’Assomption tombait un lundi en 1812. Geronimo avait donc six jours devant lui pour préparer sa seconde épître. Il la composa d’avance, plus belle, plus fleurie que la première, et ornée de citation de Pétrarque et de Guarini. Cependant, comme ce délai lui paraissait long, il voulut essayer de correspondre avec sa maître au moyen de la musique. La chanson en plein air est d’un usage si répandu dans ce pays, qu’on ne s’inquiète guère si elle déguise quelque intention de sérénade ou quelque allusion particulière. Geronimo, musicien et doué d’une voix agréable, chercha dans le recueil gravé des chansons populaires celle qui offrait le rapprochement le plus sensible avec l’état de ses amours. Son choix se fixa sur la sicilienne : Nici mia comù si fa ? dont le refrain dit, dans le dialecte amoureux de Palerme : « Je ne t’ai vue qu’à peine, hélas ? et pour un seul regard, je vais mourir ! » Le jeudi soir arrivé, notre abbé, enveloppé jusqu’aux yeux dans un manteau de conspirateur, monta en fiacre avec son fidèle Antonietto, portant une guitare. Il était quatre heures d’Italie, ou onze heures de France. Le carillon de minuit sonnait lorsque Geronimo parvint à Saint-Jean Teduccio, et se glissa sous les fenêtres de Lidia. Des ombres qui se mouvaient lui apprirent qu’il y avait encore de la compagnie au salon. Bientôt il entendit des pas d’hommes dans l’escalier. Plusieurs jeunes gens sortirent ensemble, parmi lesquels l’abbé crut reconnaître