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divergentes des plus éminens théologiens, que les articles de l’église sur le baptême pouvaient être consciencieusement interprétés de différentes manières ; que la doctrine de M. Gorham n’était point contraire à la doctrine déclarée de l’église, et par conséquent n’était pas une raison suffisante pour son exclusion du bénéfice auquel il était nommé par la couronne. Les archevêques de Cantorbéry et d’York donnèrent leur assentiment, l’évêque de Londres refusa le sien. Le jugement du conseil privé était logique ; il était purement et simplement protestant. Il consacrait la doctrine du libre examen et de la libre interprétation : c’était la victoire de l’individualisme ; mais, par cela même, c’était le renversement de toute église établie. La vérité est une et indivisible, beaucoup plus que la république ; elle n’a pas deux faces, comme le dieu antique. Elle peut réciter le monologue de Hamlet : To be, or not to be. Elle est ou elle n’est pas. Elle ne fait pas de transactions ; ce n’est pas à elle de céder devant le doute, c’est aux esprits troublés et rebelles à s’incliner devant sa toute-puissance. Il faut croire à la révélation, ou bien renoncer au nom de chrétien. Les dogmes ne sont pas des idées innées ; autrement Dieu n’avait pas besoin de descendre sur la terre pour dire : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » Si chacun possède la vérité en venant au monde, que devient la révélation ?

Ce que signifiait au fond le jugement du conseil privé, c’est qu’il pouvait y avoir deux vérités : c’est que l’église d’Angleterre non-seulement n’affirmait pas ce qu’était la vérité, mais ne pouvait pas même dire ce qu’elle n’était pas, et que les doctrines les plus fondamentales restaient ouvertes à la libre interprétation de chaque individu. En acceptant cette situation, l’église d’Angleterre faisait acte d’abdication.

Quand le jugement fut rendu, il éclata un grand tumulte dans l’assemblée ; mais le tumulte fut bien plus grand encore dans les consciences. L’église d’Angleterre, comme église orthodoxe, se sentait frappée à mort, et elle essaya d’arracher de ses flancs cette flèche empoisonnée. Plusieurs de ses principaux ministres rédigèrent aussitôt une protestation contre la suprématie spirituelle de la couronne, dans laquelle ils disaient : « Attendu que, par le dernier jugement, il devient évident que la suprématie royale, selon la loi, investit la couronne du droit de juger en appel sur toutes matières même purement spirituelles ; attendu que reconnaître un tel pouvoir à la couronne est contraire à la fonction divine de l’église universelle qui lui a été donnée par la loi du Christ,… nous déclarons que nous avons jusqu’à présent reconnu et reconnaissons encore la suprématie de la couronne en matières ecclésiastiques comme étant un pouvoir civil suprême sur toutes personnes et choses temporelles, et sur les accidens temporels des choses spirituelles, mais que nous ne pouvons reconnaître à la