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de cueillir plus facilement les fruits. Placé bien moins en état de minorité qu’en état d’interdiction véritable, le pays, sous la domination sans contrôle de ses préfets, perdit complètement de vue la gestion de ses affaires locales, et n’aspira plus même à ces modestes libertés dont l’usage aurait tempéré plus tard les périls inhérens à l’exercice des droits politiques. Si, dix ans après, il se prit à réclamer des lois départementales et communales, ce fut moins parce qu’il éprouvait le besoin de concourir directement à l’administration de ses propres intérêts que parce qu’il espérait trouver dans ces lois de nouveaux instrumens pour battre en brèche le pouvoir. Les conceptions politiques de ce temps ne préparaient pas moins d’embarras à l’avenir : l’université, machine de compression à peine de mise au sein d’une société où régnerait une complète unité de mœurs et d’idées, était la plus imprudente attaque au génie des siècles modernes, et préparait une réaction inévitable ; enfin l’aristocratie militaire, renouvelée du saint-empire romain, aurait disparu avec l’empereur au premier souffle de l’opinion publique, comme une couche de sable semée sur des rochers, et le seul résultat de ces tentatives à contre-sens était de préparer pour la génération suivante ce déplorable contraste entre les mœurs et les idées, qui la fait toucher aujourd’hui par les unes à la république et par les autres au despotisme.

C’est à la direction agitée et stérile imprimée par l’empire à l’esprit français qu’il faut donc faire remonter ce déplorable et constant malaise de l’opinion qui se traduit pour nous en révolutions périodiques ; mais, si la politique de Napoléon compliqua pour long-temps les destinées de sa patrie, elle ne compromit pas à un moindre degré l’avenir de son propre établissement dynastique. Le résultat nécessaire de ce système fut, en effet, de concentrer tout le gouvernement dans sa personne, en substituant le prestige exclusif de la gloire au respect des institutions foulées aux pieds. Une monarchie qui ne pouvait exister que sous la condition d’ajouter chaque jour une conquête à ses conquêtes était forcément identifiée avec le conquérant, et ne pouvait lui survivre. Le monde ne comprenait l’empire qu’avec l’empereur, parce qu’un tel établissement ne se tenait debout que par son épée. De là cet isolement au sein de la toute-puissance qui était la terreur constante de sa pensée. Un jour, un homme à cheval courut au galop les rues de Paris en annonçant la mort de l’empereur. Sur ce seul bruit, et tant que la fausseté n’en fut pas reconnue, l’audacieux conspirateur demeura maître du gouvernement, sans que ni le peuple, ni la force armée, ni les autorités songeassent à lui opposer le nom de l’impératrice, celui du roi de Rome ou de tout autre prince impérial. Ce jour-là, la Providence envoya au maître du monde la révélation de sa fin : le général