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de comédie, et les suppositions, les quiproquos, les erreurs qui remplissent les comédies de Molière et de Regnard ne pourront jamais fournir le sujet d’un drame tragique. L’homme est ainsi fait, qu’il peut rire et s’amuser des combinaisons les plus impossibles et des suppositions les plus folles qui traversent son esprit, mais il n’accorde son émotion et sa pitié qu’aux douleurs réelle et nullement à des hypothèses historiques, ou à des suppositions abstraites, ou à des quiproquos trop prolongés. Un malentendu ne peut pas faire le fond d’une action dramatique, car une telle donnée est inadmissible avec les développemens que demande le drame. S’il est possible de supposer qu’une simple erreur de la vue puisse donner naissance à la calomnie, il est absurde de supposer que cette erreur puisse durer pendant cinq actes : la passion ira n’a en quelque sorte aux enquêtes, et le personnage incriminé sera justifié une fois pour toutes. Un malentendu peut être très dramatique en lui-même ; la passion peut, sur une simple apparence, se tenir pour convaincue, mais alors cette erreur devra servir simplement de dénouement ou de moyen d’action, jamais elle ne pourra devenir le fond même d’une œuvre dramatique, c’est pourquoi nous pensons que la donnée de Valeria est contraire aux véritables lois du drame.

La représentation de Valeria explique parfaitement pourquoi les auteurs ont choisi une telle donnée c’est qu’ils ont cherché certains effets certaines situations bien plutôt qu’ils ne se sont préoccupés des passions et des caractère ; ils ont oublié ou ils ignorent que les situations dramatiques naissent des passions des personnages, et qu’elles ne sont qu’un effet dont les passions et les caractères sont la cause. Or, les caractères sont nuls ou à peu près. Rien dans le langage d’Agrippine ne trahit un caractère quelconque, et nous serions fort embarrassé pour dire quel caractère les auteurs ont voulu donner à la fille de Germanicus. Nous avons été long-temps avant de découvrir qu’Agrippine figurait dans ce drame, et nous avouons naïvement que nous l’avions prise pour une suivante dont le langage nous paraissait inexplicable et incompatible avec sa condition. Quand à Silius, il nous a rappelé les tristes figures de ces deux malencontreux philosophes que M Couture avait placés dans un coin de son tableau de l’Orgie romaine Silius est, après Messaline, le personnage le plus vertueux de la pièce : c’est un stoïcien plein de regrets pour les mœurs de la vieille Rome et d’admiration pour les assassins de César ; mais comment se fait-il que cette vertu s’exprime en phrases de convention et que les auteurs n’aient trouvé à mettre dans la bouche de ce personnage que des maximes vulgaires et des lieux communs de morale ? Silius st d’un bout à l’autre non pas un Romain, mais un personnage de convention, dont le rôle est d’être vertueux Comme le rôle de Lycisa est d’être infâme. Quant à vous dire si sa vertu est autre chose qu’un rôle, s’il a l’ame vertueuse et le cœur noble, cela nous est impossible, car les auteurs ne nous ont donné dans Silius qu’un personnage, nullement un caractère Narcisse et Pallas ne sont en aucune façon les deux scélérats grandioses, les eux remarquables intrigans que Tacite nous a décrits : ce sont deux vils coquins qui ont l’air d’appendre leur métier de scélérat en essayant de se perdre mutuellement. Leur scélératesse n’est qu’une scélératesse d’apprentis, leur langage et leurs actions sont méprisables et vils plutôt que haïssables. Figurez-vous deux laquais qui auraient appris leur métier d’empoisonneur