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frappans retours qui se puissent rencontrer dans la destinée des établissemens humains. Malheureusement l’Angleterre n’a point encore réussi à réformer son système pénal, elle ne sait que faire de ses condamnés ; et, en attendant, elle persiste à les rejeter hors de son sein, au préjudice de ces lointaines colonies, qui tiennent cet affront pour un grief de plus contre la métropole ; le jour arrivera peut-être où tous ces griefs accumulés éclateront.

Il est un autre sujet d’anxiétés toutes récentes pour le ministère des colonies : c’est la guerre qui vient de recommencer avec les Cafres, les anciens ennemis et les nouveaux sujets des Anglais du Cap. On s’accorde à la regarder comme très sérieuse. Le comte Grey n’a pas hésité à reconnaître, dans la chambre haute, qu’il avait été surpris par les événemens, et l’on a dû expédier en toute hâte des troupes de renfort par l’un des meilleurs marcheurs de la marine anglaise. Jusqu’aux dernières nouvellesn les hostilités étaient pourtant concentrées dans la vallée supérieure de Keiskamma et dans les environs, de King-William’s Town, et il ne semblait pas que les Cafres eussent d’intelligences parmi les indigènes de Port Natal ; mais le théâtre de la guerre est l’une des régions les plus impénétrables de la Cafrerie, toute la population mâle a pris les ares. Il n’y a dans la colonie que deux mille hommes de troupes, et l’on a fort à redouter ces terribles incursions de sauvages qui ont tant de fois dévasté les établissemens de l’intérieur. Déjà les fermiers quittent en masse leurs postes avancés des frontières. L’Angleterre est représentée sur cette terre africaine, où elle a constamment à lutter contre la barbarie primitive, par un très brave officier ; qui n’en fait pas moins le plus excentrique, le plus aventureux et le moins chanceux des gouverneurs. Toutes les bizarreries du caractère anglais percent à l’aise dans l’isolement et l’omnipotence des grandes situations que donnent ces charges coloniales. Sir Harry Smith s’est absolument mis en tête de traiter avec les barbares en barbare et demi ; il ne se regarde presque plus comme un délégué de Downing-Street ; il tranche du patriarche et du chef de tribu ; il affecte si bien de réduire son langage et ses moyens administratifs à la portée des Cafres, qu’il n’use plus assez de sa supériorité d’Européen. Depuis le mois d’octobre de l’année dernière, on pouvait prévoir un soulèvement ; les ouvriers cafres des fermes de la frontière désertaient comme pour répondre à quelque appel clandestin de leurs kraals. Au lieu d’agir immédiatement, sir Harry s’est amusé à parlementer en toute solennité avec ces petits chefs, à leur demander un nouveau serment d’allégeance sur son bâton de paix, une belle cérémonie de son invention, à envoyer, là où il ne pouvait aller en personne, cette respectable canne, qui devait servir de symbole d’amitié. Les Cafres, déjà probablement trop civilisés pour respecter la symbolique, se sont moqués du message. Quand enfin l’on a tenté d’arrêter le plus suspect, on s’est vu reconduire à coups de fusil, et le rusé sauvage que le digne gouverneur appelait « son pupille et son fils » a failli mettre la main sur la trop confiante excellence.

Sir Charles Napier, dont nous pariions l’autre fois, n’est certes pas d’une espèce si candide que sir Harry Smith, mais il arrive chaque jour en Europe quelque nouvel épisode des adieux qu’il fait à tout le monde avant de quitter l’Inde, et ces détails achèvent de lui constituer aussi une physionomie très particulière. Il tient bien sa place dans la galerie de ces personnages anglais, sur