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M. Halévy ne les eût pas attendu, que l’un et l’autre n’ont, à coup sûr, jamais envisagé du même point de vue le texte de Shakspeare. Et comme, pour le peintre et le musicien, la difficulté de rendre l’œuvre d’un poète se mesure assez généralement sur l’intelligence et le sentiment qu’ils en peuvent avoir, il semble que plus on pénètre à fond dans son esprit, plus on recule devant la responsabilité de la chose. Que voyait Mendelsohn dans la Tempête ? La plus adorable des illusions où l’esprit se puisse laisser ravir par la baguette d’un enchanteur, un monde surnaturel et charmant, le pays de Titania et d’Oberon, d’Ariel et de Puck, le pays des songes et des gracieuses fantaisies d’où jusqu’à la fin vous ne sauriez sortir une fois que vous y êtes entré, tant les séduisantes apparitions qui vous y environnent, les voix qui s’y exhalent, la douteuse clarté qui s’y répand, se combinent avec harmonie pour tous plonger dans ce demi-sommeil si propice aux sensations du rêve ! Cette impression dont je parle, on la retrouve aussi dans le Songe d’une Nuit d’été, mais se produisant peut-être d’une façon moins complète que dans la Tempête. Rien ici, en effet, qui vous ramène au monde réel, les caractères et les événemens participent de la même étrangeté, et cette action si simple (trop simple sans doute, puisqu’il a semblé indispensable à M. Scribe d’intervenir, et de la corser un peu en y mettant du sien), cette action a pour prologue et pour incidens tant de choses merveilleuses, que vous cessez bientôt de vous préoccuper de la charpente dramatique, et vous intéressez moins au but du poète proprement dit qu’aux moyens qu’il évoque pour l’atteindre. On a prétendu que Shakspeare avait emprunté le sujet de la Tempête à une nouvelle italienne de laquelle on n’a cependant jamais pu trouver la moindre trace. Si cette assertion est vraie, l’aventure d’un prince errant et malheureux, chassé de ses états par la perfidie de son frère, devait faire le fonds de la chronique. Par quel singulier enchaînement Shakspeare a pu transformée une situation au moins très médiocrement originale en la plus fraîche et la plus romantique des créations, c’est à coup sûr le secret du génie.

M. Halévy a-t-il seulement pris la peine de réfléchir aux conditions musicales d’une semblable donnée ? s’est-il seulement demandé si son talent se prêterait jamais à rendre le surnaturel et le merveilleux de la fantaisie du poète ? Nous ne le pensons pas. L’auteur du Guitarrero et des Mousquetaires de la reine a vu là un sujet comme un autre, une pièce à spectacle fort susceptible de réussir la musique aidant, et, les situations une fois combinées avec son poète, il s’est mis à écrire des choeurs, des duos et des récitatifs, toute une partition enfin dont chacun appréciera l’excellent style, mais qui pour le romantisme de l’idée ne va guère au-delà de l’inspiration de M. Scribe. C’est l’élucubration du plus spirituel de nos auteurs dramatiques beaucoup plus que la Tempête de Shakspeare que M. Halévy a prétendu réchauffer des sons de sa musique. Du commencement à la fin, vous sentez que le compositeur adopte en plein la version du libretto et n’a pas le moindre souci de rechercher s’il n’aurait point ; par hasard, dans le texte primitif autre chose que ce que M Scribe a pu y voir. Delà un opéra féerie qui vous reporte aux meilleurs jours de Zémire et Azor et qui devrait s’intituler Miranda et Caliban ou la Belle et la Bête ! En somme, l’effet a été médiocre, et mieux aurait valu pour les auteurs s’en tenir à leurs ovations d’outre-Manche. Qu’à Londres, M. Lumley s’empresse d’ouvrir