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une idée de ce style généreux et clair, de cette langue du cœur qui sait trouver le sublime sans sortir de la sphère de la vie bourgeoise. Geronimo me rappelle Chrysale, et les rapprochemens ne manqueraient pas à qui voudrait appuyer davantage sur l’air de famille qui existe entre le grand musicien et le grand comique. On ne peut se défendre, lorsqu’on entend aujourd’hui le Mariage secret de songer à tant de représentations brillantes, et dont ce qui se passe désormais sous nos yeux n’est, hélas ! pas même l’ombre froide. On a beau dire, entre le public du Théâtre-Italien et les chanteurs le courant magnétique est rompu Les boutades humoristiques de Lablache, le merveilleux gazouillis de Mme Sontag, provoquent bien encore par instans le fou rire ou l’applaudissement ; mais, de cette chaleureuse émotion, de cette sympathie ardente, de cet enthousiasme, il n’en est plus trace. Au fait, avouons-le, les temps ont marché, et si la partition de Cimarosa n’a rien perdu de sa fraîcheur et de sa grâce inaltérable, ceux qui l’interprétaient ne devaient point échapper de même à la loi commune. Le bonhomme Géronimo est devenu presque asthmatique, et sa corpulence l’étouffe ; sur la voix toujours jeune et agile de la blonde Caroline, quatre lustres ont passé la tante Fidalma, cette excellente dame, si verte encore et si pimpante sous son vertugadin de duègne, la tante Fidalma est morte, hélas ! avec la Malibran, et quant à Paolo, après David, après Rubini, même après Mario, comment se contenter de M. Calzolari ? Et cependant cette musique porte en elle des séductions à ce point adorables ; qu’on se reproche presque d’insister sur une imperfection de détail, tant on se sent heureux de la posséder telle quelle ! La troupe des italiens, tout ébréchée et incomplète que le temps et les révolutions l’aient faite, la troupe des Italiens conserve, la tradition du chef-d’œuvre. La pensée de Cimarosa est là chez elle, chanteurs et partition se conviennent et pour bien comprendre toute l’importance d’un pareil avantage, il faut aller entendre le Mariage secret au lendemain d’une représentation de la Tempesta de M. Halévy.

Nous l’avons entendue enfin, cette Tempête que depuis plus d’un an tant d’annonces, de réclames, et d’articles de journaux avaient précédée chez nous en manière d’éclairs et de coups de vent, et, tout en écoutant le chef-d’œuvre, cette idée nous venait l’autre soir, que, puisqu’on était en train de prendre ses titres à Shakspeare, il pouvait bien s’en trouver un dans le répertoire du vieux Will qui, peut-être ne conviendrait pas médiocrement à la circonstance : Much ado about nothing. Pour rien n’est pas le mot cependant, car il y a là plusieurs morceaux d’une inspiration distinguée et dramatique. Je citerai entre autres dans le prologue, d’ailleurs fort mouvementé, mais d’un vacarme et d’un fracas qui ne sied guère aux habitudes de l’endroit, je citerai la prière des naufragés sur le navire, et, au second acte, l’espèce de bacchanale où Lablache, grotesquement travesti en Caliban d’opéra-comique, fait la débauche avec des matelots et boit à longs traits, au fond de la coupe que lui tend la blanche main de Miranda, une ivresse inconnue des esprits élémentaires, lesquels, Gnomes ou Sylphes, Elfes ou Kobolds, ne s’étaient jusque-là jamais encore désaltérés que dans la rosée du ciel ou le cristal des sources vives. Le vin, le jeu, les femmes, M. Scribe, on le sait, ne sort pas de là, même lorsqu’il s’adresse aux plus idéales comme aux plus fantastiques créations du romantisme du Nord. Il faut croire que cette inimitable poétique, principe éternel