Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur ses épaules sa tête voilée de longs cheveux blancs, et se meut avec gravité, comme apparut d’abord le magicien, traversant la foule éblouie.

En proie à cette obsession, le jeune prince pousse, durant toute la nuit, des hurlemens et des sanglots. La fièvre le dévorait, il put goûter un instant de sommeil. Aux premières lueurs du jour, sa mère se fit conduire près de lui. — Mon enfant, lui dit-elle, comme vous êtes changé ! — Sun-tsé demande un miroir ; l’altération de ses traits l’épouvante, et levant, avec douleur les yeux sur sa mère : — C’en est fait répliqua-t-il ; puis-je espérer désormais d’acquérir de la gloire et de consolider moi-même le royaume que j’ai toujours à peine fondé ? – Il tenait toujours son regard fixé sur la surface polie où se reflétaient ses traits hâvres et flétris par la souffrance Le miroir qu’il avait à la main ternit insensiblement ; à la place de son propre visage il distingue la figure grave et impassible, du divin docteur, qui le regarde avec un sourire ironique Sun-té rejette loin de lui le miroir ensorcelé, en criant d’une voix étouffée : — Le sorcier ! le sorcier !

— Ce cri rouvrit sa blessure ; il tomba sans mouvement entre les bras de sa mère. Transporté dans son palais, il fit appeler auprès de lui ses frères, afin de s’entretenir avec eux pour la dernière fois. À ce moment suprême, il avait recouvré toute la lucidité de son esprit, toute l’énergie de son caractère. Il adressa à sa famille éplorée des recommandations pleines de sagesse et de prévoyance que l’histoire nous a transmises, et mourut dans sa vingt-sixième année. Le héros qui avait conquis les provinces du sud de la Chine en quelques campagnes, qui méditait d’attaquer la capitale et traitait d’égal à égal avec l’empereur, venait d’être vaincu par un ennemi terrible et implacable.

— Quel ennemi ? demandèrent en chœur les passagers ; le fantôme, l’ombre du sorcier ? Voue croyez donc à la puissance des magiciens comme vos Chinois ?

— Vous m’avez mal compris, répliqua l’abbé en fermant son livre ; il fut vaincu par un ennemi puissant et implacable, disais-je, par le remords d’avoir fait périr, dans un accès de colère et d’orgueil jaloux un pauvre rêveur, un fou innocent !


TH. PAVIE.