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mains, a frappé un homme près de lui. Le blessé expire en vomissant des flots de sang ; chacun reconnaît avec terreur que cet homme mortellement atteint est celui-là même qui a fait l’office de bourreau et décapité le magicien quelques jours auparavant. — Qu’on l’emporte et qu’on l’enterre ! dit Sun-tsé. Je veux sortir d’ici, partons, partons vite ! – Quand il va pour franchir la grande porte de l’enceinte extérieure du temple, le fantôme se dresse de nouveau devant lui ; mais seul il peut le voir. Les gardes ne comprennent rien aux gestes menaçans de leur maître, qui se rejette en arrière, les yeux hagards, la bouche béante, et semble écarter de la main un invisible ennemi ; ils l’entourent avec sollicitude, tandis que les autres soldats, ceux qui forment la masse du cortége, se pressent aux abords de la pagode. – Mes amis, leur dit le prince, renversez ce temple ; qu’il n’en reste pas pierre sur pierre ! les soldats grimpent sur les toits comme s’ils fussent montés à l’assaut, et enlevèrent les tuiles. Les briques vernies, qui reluisaient au soleil comme les écailles du dragon, sont mises en pièces l’édifice entier semble fondre, sous l’effort de leurs bras. Appuyé sur sa litière, Sun-tsé regarde avec joie cette œuvre de destruction ; il se venge à la fois du spectre et des religieux qui l’ont contraint d’accomplir des cérémonies auxquelles il n’attachait aucun sens. Tout à coup les soldats roulent à terre, poussés d’en haut des murailles par le souffle irrésistible du spectre. — Du feu ! du feu ! s’écrie le prince ébranlé dans son incrédulité par ce prodige terrible, incendiez la pagode ! Le feu dévore l’édifice ; mais, au milieu des flammes, se détache le noir fantôme pareil à une statue de bronze. Il se promène à travers l’incendie, faisant voler : au loin les briques, les pierres, les poutres qui blessent de toutes parts les soldats et les gardes. C’est comme un ouragan qui disperse en tous sens les feuilles mortes, les herbes sèches et les jaunes épis des moissons.

Cette fois Sun-tsé est pris de frayeur ; il se sent vaincu par une puissance surhumaine. On le remporte précipitamment vers son palais ; il fuit escorté de ce qui lui reste de soldats valides, et poursuivi toujours par ce fantôme qui s’attache à sa personne.

À l’approche de la nuit, la terreur du prince redouble : il n’ose affronter les ténèbres entre les sombres murailles de son palais. C’est hors de la ville, en plein air, sous sa tente de combat, qu’il veut essayer de prendre un peu de repos. Un camp de trente mille hommes est armé autour de lui ; qui donc franchira ces lignes épaisses de soldats ? Mais les piques les lances, les longs cimeterres de ses guerriers ne peuvent empêcher le spectre de venir s’asseoir au chevet du prince mourant. Tantôt l’ombre vengeresse se montre décapitée, sanglante et hideuse, pareille au cadavre exposé sur la place publique ; tantôt elle replace