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— Ma vie dépend du ciel, du ciel seul ; que peut contre moi un sorcier mort ?

Voyant que ses exhortations ne servaient à rien, la mère du jeune prince recommanda aux gens du palais de prier et de brûler des parfums pour écarter le péril qui menaçait leur maître. Bientôt Sun-tsé s’endort ; le vent pénètre en gémissant dans son alcôve et éteint la lampe qui brûlait près de lui ; il allonge le bras pour la rallumer… le sorcier est debout auprès du lit. Sun-tsé saisit le cimeterre accroché à son chevet et le lance vers le fantôme ; mais l’arme rend un son métallique et retombe sans avoir fait reculer la vision.

— Toute ma vie je me suis attaché à exterminer les sorciers et les imposteurs, dit Sun-tsé à haute voix ; toi qui es l’ombre d’un être malfaisant, pourquoi oses-tu m’approcher ?

À ces mots, le fantôme disparut comme s’il eût obéi.

Ces scènes violentes étaient autant de crises qui ruinaient la santé déjà si altérée du jeune prince. Pour calmer les inquiétudes de sa mère, il consentait à suivre les prescriptions du médecin et à soigner ses blessures ; mais aux explications qu’elle lui donnait sur la nature des esprits, sur l’existence des êtres supérieurs, sur le pouvoir des magiciens, il répondait toujours : – Je suis un soldat ; mon père, qui m’a appris tant de choses quand il m’emmenait avec lui dans ses lointaines campagnes, ne m’a rien enseigné sur ces matières surnaturelle. Il en riait, et je n’y crois pas plus que lui. — Les pratiques pieuses que sa mère lui conseillait d’accomplir pour expier sa faute et recouvrer sa santé ne le touchaient pas d’avantage. Cependant, quand elle le pria de l’accompagner dans une pagode où elle se disposait à faire un pèlerinage avec toute la cour, il céda par obéissance. Avec quelle joie elle le vit monter en litière et s’acheminer vers le temple ! Il ne s’y rendait pourtant qu’à contre-cœur ; aussi, quand le desservant lui présenta le feu pour allumer des parfums, il remplit ce devoir machinalement, sans intention, sans y joindre un mot de prière. — Peu à peu l’odeur de l’encens et du sandal remplit la pagode ; la fumée sort en tourbillonnant de la cassolette incandescente et monte en décrivant une spirale sur le sommet de laquelle apparaît encore le magicien décapité. Le fantôme, d’abord tout petit, s’allonge à mesure que la fumée s’élève ; il grandit, grandit toujours et touche bientôt la voûte. Sun-tsé quitte brusquement la pagode ; arrivé sous le portique, il heurte ce terrible fantôme qui lui barre le passage, puis recule devant lui et vient à sa rencontre suivant qu’il marche lui-même en avant ou en arrière. — Un sabre ! un sabre ! crie le jeune prince qui était sorti sans armes de son palais ; et il saisit celui d’un de ses gardes. Fou de colère, il se précipite sur le fantôme ; mais le sabre, échappé de ses