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le sol à la hauteur de trois pouces, mais moi, je, n’éviterai pas le sort qui me menace !

— Courage, docteur, répondirent les mandarins ; si vous accomplissez un miracle qui puisse convaincre notre maître, il vous respectera !

Le vieillard secoua tristement la tête ; après s’être lié lui-même au moyen d’une longue corde, il se coucha au soleil. Déjà un officier envoyé par le prince était venu déclarer à la multitude que, si à midi la pluie n’était pas tombée, le docteur serait brûlé vif sur cette même place. Le bûcher, formé d’un grand aman, de bois sec ; s’élevait rapidement sous les yeux du magicien ; il regardait sans se troubler les apprêts du supplice, tandis qu’autour de lui les généraux, les mandarins et le peuple, diversement émus ; restaient immobiles dans l’attente de ce qui allait se passer. Les uns, pleins de foi dans la puissance du sorcier, l’encourageaient du geste en lui montrant le ciel prêt à lui obéir ; les autres, partagés entre la curiosité et la crainte, entre le doute et l’épouvante, ne pouvaient contempler sans frémir ce bois sec d’où une parole du prince allait faire jaillir des flammes dévorantes. À peine le vieillard avait commencé ses incantations, tout à coup un vent terrible souffla dans les airs du côté du nord-ouest, les nuages s’accumulaient ; ils s’étendaient sur la voûte du ciel et restaient- suspendus au-dessus de la ville. Sun-tsé, appuyé sur le balcon de la galerie, regardait alternativement les nuées rassemblées dans l’espace et le sorcier couché à terre. Quelques instans s’écoulèrent ainsi ; l’orage planait sur la ville, près de crever, mais sur la poussière on ne voyait pas encore la marque d’une seule goutte d’eau. Le gong retentit ; c’est le signal de midi, et les quinze mille spectateurs réunis sur la place étendent à la fois leurs mains pour s’assurer si la première goutte de pluie va répondre à cet appel fatal. Trois minutes se passent, et le prince fait entendre ces paroles au milieu du plus profond silence : « Sur le ciel je vois des nuées ; mais la pluie bienfaisante se refuse à tomber. Cet homme n’est qu’un imposteur ; couchez-le sur le bûcher. »

On met le feu aux quatre coins des grandes piles de bois ; une masse de fumée noire tourbillonne autour du bûcher et l’enveloppe bientôt, mais l’éclair sillonne les nues amoncelées, le bruit grondant de la foudre ébranle le sol : il tombe des torrens de pluie. En un instant la place du marché, les rues, la ville entière, sont inondés : l’eau s’élevait partout à plus d’un pied. Étendu sur son bûcher, le magicien dit à haute voix : « Nuages, roulez-vous comme un voile ; pluie, cesse de couler. » Et le soleil se montre de nouveau sur le ciel radieux.

La flamme était éteinte. Les mandarins s’élancent à l’envi pour délier le divin docteur et conjurent le prince de reconnaître son pouvoir surnaturel ; mais Sun-tsé, couché dans sa litière, se faisait reconduire