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— Comme leur maître ; répliqua le mandarin. Il y en a un cependant qui, par flatterie sans doute, a parlé de votre altesse en termes moins mesurés…

— Qu’à-t-il dit, demanda Sun-tsé ? — Le mandarin gardait le silence n’osant rapporter les expressions trop hardies du conseiller impérial.

— Eh bien ! reprit Sun-tsé, parlez !… ou je regarde votre désobéissance comme une trahison !

— Puisque votre altesse l’ordonne, j’oserai rapporter devant elle ce qu’a dit ce misérable. Il s’est permis de dire, — c’est lui qui parle, que le prince de Ou ne doit inspirer à personne des craintes sérieuses. C’est un étourdi qui ne sait rien prévoir, a-t-il ajouté ; quand il aurait un million de soldats à ses ordres, il n’est pas de taille à prendre le rôle d’usurpateur… Il est hardi, téméraire sur le champ de bataille, mais nul dans le conseil. Un jour, il périra de la main d’un assassin vulgaire.

À ces mots, Sun-tsé, oubliant les conseils du médecin, laisse éclater sa colère ; il s’emporte contre le ministre, qu’il accuse d’avoir soudoyé les trois assassins. Levant les deux mains au ciel, il jure de se rendre maître de la capitale, de tuer le tout-puissant ministre, et de saisir, au milieu du palais, la personne sacrée de l’empereur. Sans attendre que ses blessures soient guéries, il convoque les officiers ; dès le lendemain il voulait dresser le plan de cette nouvelle campagne. Autant il était impatient de recommencer la guerre, autant les mandarins soupiraient après la paix.

— Le médecin a conseillé à votre altesse un repos absolu de trois mois, disaient-ils tous à l’envi ; faut-il, pour un accès de juste colère, compromettre le salut de votre auguste personne ?

— Il y a à la cour un misérable qui m’a insulté, répondait le prince de Ou ; puis-je supporter l’affront que m’a fait un homme de rien ? J’irai à la capitale, vous dis-je, j’irai regarder l’empereur face à face, pour leur apprendre à tous quel homme je suis !

Les exhortations des mandarins civils et militaires ne produisirent aucun effet sur l’esprit ardent de Sun-tsé. Son orgueil blessé le faisait plus souffrir que les coups de lance et la flèche empoisonnée. Dès le lendemain, il se revêtit de sa tunique brochée d’or, et, rassembla toute sa petite cour dans une galerie ouverte qui s’étendait au-dessus du rempart de sa capitale, et faisait face à la grande rue du marché. Une collation y était servie ; déjà la coupe de vin passait de main en main. Le prince, assis sur un siége élevé, contemplait avec joie la foule qui s’agitait au pied de la galerie avec le bruit d’une mer retentissante : il renaissait à la vie, à l’espérance. Tout à coup, au moment où il allait boire lui-même au succès de sa future campagne, il s’aperçut que les mandarins et les grands officiers, après s’être parlé entre eux à voix