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Sun-tsé jette avec colère la poignée inutile : de riches diamans la décoraient, mais il les eût tous donnés pour la pointe d’acier qui venait de voler en éclats. À peine ce premier ennemi l’avait-il atteint, qu’un autre lui décoche une courte flèche dont le fer le blesse à la joue ; le sang coule sur son visage et souille les broderies qui étincellent sur sa tunique. Vaincu par la douleur, il rugit comme un lion ; il arrache courageusement le trait qui lui déchire la face, le pose sur la corde de son arc, et le lance avec un cri de rage à travers la poitrine de l’homme qui l’a frappé. Aussitôt les deux autres se précipitent sur le prince ; avec la pointe et le bois de leurs piques ; ils lui portent de rudes coups. Sun-tsé, qui vient de perdre son sabre, et dont toutes les flèches ont été jetées à terre pendant cette lutte terrible ; n’a pour se défendre que le bois de son arc il s’en fait une arme redoutable et résiste aux attaques de ses deux adversaires. Cependant il a reçu dix coups de lance ; son cheval, criblé de blessures, s’affaisse sur ses jarrets. C’en était fait du prince de Ou, quand un des généraux, surpris de ne plus le voir galoper dans la campagne arriva avec quelques cavaliers sur le lieu du combat. Les assassins, en voyant les cavaliers, avouèrent hautement qu’ils avaient voulu tuer le prince pour venger leur patron mis à mort, et ils tombèrent percés de coups. L’état du prince lui-même réclamait de prompts secours. Le général qui venait de le sauver essuya d’abord le sang qui coulait de ses blessures ; puis, coupant avec son sabre un morceau de sa tunique, il attacha son maître en croupe et l’emmena au palais. Un habile médecin déclara que la flèche dont la pointe avait entamé l’os de la joue de Sun-tsé était empoisonnée ; il espérait guérir le malade, mais à la condition que celui-ci garderait pendant trois mois le repos le plus absolu. « Surtout, disait le docteur, que votre altesse évite tout mouvement de colère ! »

Impétueux et violent comme il l’était, le prince de Ou ne pouvait rester trois heures dans l’inaction ; cependant la force de la douleur, plus puissante que les prescriptions du médecin, le retint au lit pendant une vingtaine de jours. Il commençait à se trouver mieux, quand un mandarin qu’il avait envoyé en mission à la capitale revint près de lui ; il le fit appeler aussitôt pour l’entretenir des projets qui fermentaient dans sa tête.

— Eh bien ! lui demanda-t-il, que dit-on de moi là-bas ?

— On a peur de votre altesse à la cour, répondit le mandarin. Le ministre qui gouverne au nom de l’empereur a dit devant votre serviteur en soupirant : Le jeune lion est désormais un rude adversaire ; ses griffes ont eu le temps de croître !

— Ah ! s’écria le prince avec un sentiment d’orgueil, ils me craignent enfin !… Et les conseillers qui entourent cet arrogant ministre, comment me jugent-ils ?