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de concert avec un autre misérable de son espèce, il avait étranglé le modiste de la reine pour piller à l’aise son magasin. Candelas, le complice, n’avait pas le sou : — il fut garrotté. Balseiro, possédant quelques économies dont il sut faire emploi, vit commuer la peine de mort prononcée contre lui en vingt années de presidios. Il ne comptait pas y rester plus de six semaines, et de fait, il s’évada peu après son arrivée au bagne. De retour à Madrid, il imagina une spéculation hardie, qui consistait à séquestrer les deux enfans d’un Basque immensément riche, contrôleur de la maison de la reine. Après les avoir enlevés de leur pension, il les logea dans un souterrain, entre l’Escurial et Forre-Lodones à cinq lieues de la capitale des Espagnes ; puis, les laissant sous la garde de deux complices, il vint marchander avec le père au désespoir la rançon de ces deux enfans, qu’on savait idolâtrés. L’entreprise était bien conçue, mais elle échoua, grace à l’activité tout-à-fait exceptionnelle que déploya la police, stimulée sans doute par le crédit qu’on devait supposer à un employé du palais. Les enfans furent retrouvés sains et saufs ; ils aidèrent à reconnaître leurs ravisseurs et, peu après, ils assistèrent en carrosse, avec leur père, à l’exécution de Balseiro.

Voilà bien assez de détails pour faire comprendre tout ce qu’aurait perdu M. Borrow à une libération trop prompte. D’ailleurs, il n’attendit pas plus de trois semaines, — semaines bien employées, — la réparation qui lui était due. Le très catholique gouvernement espagnol reconnut par écrit que l’emprisonnement de l’agent protestant reposait sur une accusation mat fondée, et ne devait laisser aucun stigmate sur sa bonne réputation. On lui offrait de plus le remboursement de tous les frais que cette erreur de police avait pu entraîner pour lui et l’option de faire casser l’agent de police sur le rapport duquel il avait été arrêté. M. Borrow usa discrètement de sa victoire, et ne voulut accepter que la clé des champs. À nul plus qu’à lui cette clé n’a jamais été nécessaire. Au surplus, il n’en était pas quitte avec le mauvais vouloir des autorités espagnoles. Celles-ci n’osaient plus, il est vrai, averties par leur premier échec, s’en prendre directement à sa personne, mais elles ne se gênaient point pour faire confisquer de tous côtés, à mesure qu’il les répandait, les exemplaires de sa Bible, donnés plutôt que vendus aux pauvres habitans des provinces. Un jour, même, on le manda derechef, à propos d’une de ces saisies, devant le corrégidor de Madrid, qu’il indisposa par son extrême assurance, et qui menaçait de le renvoyer en prison : « Vous m’obligerez, répliqua tranquillement le voyageur, et cela me serait fort utile ; je m’occupe en ce moment d’un vocabulaire d’argot, et la fréquentation des voleurs de Madrid me serait précieuse » Ce flegme était fait pour déconcerter le magistrat le plus rogue. Effectivement, à la fin de l’entrevue, le corrégidor