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La société brésilienne comprend d’ailleurs que le moment est venu d’élever ses mœurs au niveau de ses institutions. Un véritable mouvement de renaissance intellectuelle s’opère dans son sein : L’instruction primaire pénètre graduellement dans toutes les paroisses de l’empire. Partout on a organisé ou l’on organise la garde nationale ; partout on s’occupe de statistique ; partout on perce des routes à travers les forêts et les déserts, on jette des ponts sur les rivières et les torrens, on fonde des hôpitaux et divers autres établissemens d’utilité publique. La province de Bahia possède une école de médecine, celle de Saint Paul une école de droit, et celle de Minas un séminaire qui forme des prêtres instruits pour toutes les provinces de l’empire. Dans ce premier aspect de la société brésilienne qui doit nous préparer à mieux comprendre sa situation politique, le trait le plus saillant, le plus curieux à noter est assurément l’espèce de renaissance intellectuelle dont partout, et principalement à Rio de Janeiro, on rencontre les traces. Cette renaissance est favorisée ; il faut le dire, par de nombreux établissemens scientifiques et littéraires. Au premier rang de ces établissemens, on doit citer les bibliothèques et les musées de la ville. Sans parler du jardin botanique, un des plus riches du monde, et d’un très beau musée de curiosités naturelles[1], Rio de Janeiro possède trois bibliothèques. La bibliothèque du couvent des bénédictins est fort riche en textes anciens et en ouvrages de théologie celle de l’empereur se distingue par ses éditions modernes ; enfin, la bibliothèque nationale, dont aucun voyageur n’a parlé, est un des plus précieux dépôts de livres du Nouveau-Monde[2]. Située dans l’ancien hôpital des carmélites, cette bibliothèque communique avec le palais du chef de l’état, et on y rencontre bien souvent le jeune empereur qui donne ainsi à son peuple l’exemple d’un goût pour les études sérieuses de plus en plus général au Brésil.

Si la société brésilienne continue de marcher dans cette voie où un prince éclairé la guide, il est permis d’espérer qu’elle prendra bientôt la première place, sous le rapport de la culture intellectuelle et morale, parmi les jeunes sociétés de l’Amérique du Sud. L’histoire littéraire de ce pays compte déjà quelques pages, qui mériteraient d’être recueillies, et, si les relations de l’ancien

  1. Ce musée est surtout riche en minéraux et en espèces ornithologiques, dont quelques collections sont complètes. Entre autres zoolithes et lithoxiles remarquables, on a vu pendant long-temps deux icthyolithes extraordinaires transportés aujourd’hui dans le cabinet d’histoire naturelle de l’empereur. On y conserve aussi de nombreux ornemens empruntés du costume des anciennes populations du Brésil, des crânes d’indigènes, et divers monumens précieux à consulter pour l’histoire ethnographique du pays.
  2. Lorsque, à la fin de 1807, le prince régent, depuis Jean VI, passa au Brésil, il y apporta la belle bibliothèque du palais d’Ajuda, rassemblée à grands frais par les rois de Portugal. Devenue publique à Rio de Janeiro dés 1810, elle fut, après la proclamation de l’indépendance, augmentée de celle que l’infant avait également fait venir d’Europe. Malheureusement, à la même époque, une collection de manuscrits formant huit mille volumes reprit la route de Lisbonne. Plus tard, par compensation, cette bibliothèque s’enrichit de celle du comte da Barca, composée de onze mille imprimés appelés les Onze mille Vierges, de celle de Bonifacio de Andrada, formée en partie d’éditions rares et de livres allemands sur l’histoire naturelle. En somme, la bibliothèque nationale de Rio de Janeiro contient aujourd’hui plus de soixante-douze mille volumes.