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Un des principaux centres de la vie sociale au Brésil, ce sont les églises. Avant de franchir le seuil d’une maison brésilienne, entrez dans l’un des nombreux temples de Rio de Janeiro au moment d’une cérémonie religieuse et déjà vous aurez saisi un des côtés originaux, un des poétiques aspects de cette population. Les femmes, quelle que soit leur condition, séparées des allans et venans par une balustrade peu élevée, restent assises ou agenouillées sur la dalle, dans de simples ou magnifiques toilettes, entourées de leurs esclaves, pendant plusieurs heures de la nuit, sous les voûtes splendidement illuminées. On peut les voir échanger de longs et doux regards avec les jeunes gens qui passent et repassent, ou s’arrêtent même pour mieux continuer ce jeu pendant toute la durée de l’office. C’est, certes, un lieu mal choisi pour nouer de pareilles intrigues, et c’est profaner la maison de Dieu que de la transformer ainsi en succursale de l’Opéra ; cependant il est bon d’ajouter qu’en général le mal n’est pas aussi grand que ces préludes pourraient le faire supposer. Ces intrigues ne sont guère ébauchées que pour satisfaire un besoin passager du cœur, et, s’il s’y mêle un sentiment plus sérieux ; c’est presque toujours à un honorable mariage qu’elles aboutissent. Les Brésiliennes ne sont pas naturellement coquettes : jeunes filles, elles semblent plutôt légères et inconséquentes. C’est pour elles un point d’honneur de risquer à l’église ou au théâtre des regards moins voluptueux qu’agaçans, et même des signes plus espiègles que provocateurs. Elles se plaisent aussi, beaucoup aux correspondances amoureuses. Qu’on ne se hâte pas de les condamner, ce sont là souvent les seules occupations de ces pauvres désoeuvrées, auxquelles l’éducation n’a pas enseigné d’autre passe-temps. Dès le jour du mariage, de plus sérieuses pensées ont le dessus : jeunes filles, les Brésiliennes échangent sans trop de réflexion des serremens de mains, des lettres et de douces paroles avec le premier venu qui leur plaît ; devenues femmes, elles soignent attentivement leur maison, président aux travaux de leurs négresses et bercent leurs enfans. Il est presque sans exemple de trouver au Brésil une femme mariée qui trahisse les sermens par lesquels elle s’est liée au pied des autels. La débauche dans ce pays est presque exclusivement entretenue par les étrangers et par les femmes esclaves ou nées d’esclaves.

Après avoir observé la vie brésilienne dans les églises, qu’on ne la cherche pas au théâtre ni dans les bals publics. Les bals, peu nombreux, sont généralement mal hantés. Les soirées, plus ou moins cérémonieuses, n’offrent ni l’entrain ni le piquant de nos soirées parisiennes. Quant aux divers théâtres de Rio, si les Brésiliens et les Portugais peuvent se plaire aux grossières farces et aux tragédies monotones importées des rives du Tage, les étrangers ne sauraient partager leur goût, ni se soucier beaucoup des vaudevilles ou des mélodrames traduits du français qui défraient aujourd’hui la scène brésilienne. Ces tristes productions, si l’on excepte un acteur d’un talent remarquable, M. Joaô Caetano, sont confiées d’ailleurs à de ridicules interprètes qui violent à plaisir toutes les règles du goût et de l’art. Ce ne sont point là les plaisirs préférés des Brésiliens. Après la vie religieuse, c’est la vie de famille surtout qui les réunit ; c’est autour de l’autel ou du foyer qu’il faut les voir. Dans les grandes villes même, la vie de famille au Brésil a conservé beaucoup de son austérité primitive. Franchissez le seuil d’une maison de Rio par exemple vous trouverez des appartemens spacieux, mais meublés avec une