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moment d’entrer avec moi chez le général, ton ami rira moins et croira davantage.

Ce n’était pas pour discuter sur l’amour que le général de Lamoricière nous attendait. Il fallut, durant de longues heures, écrire d’ennuyeuses dépêches sur la situation des esprits dans la province, sur les approvisionnemens et les marchés de foin. Heureusement enfin, tout le travail fut terminé, et le lendemain matin rien ne nous retenait plus à Djema. Puce-Ville était alors le sobriquet de Djema-Rhazaouat ; ce surnom fera comprendre sans peine combien nous avions hâte de nous remettre en marche. La route, pour regagne Oran, longeait Nedroma avant de traverser les montagnes kabyles. Le général prit avec lui une petite colonne commandée par le colonel de Mac-Mahon, afin de juger en passant les contestations qui s’étaient élevées, entre l’autorité française et les Kabyles, et de frapper ceux-ci au besoin s’ils refusaient de méconnaître le bien jugé. Nedroma, où le général reçut la diffa, est une ville aux frais ombrages, entourée de bonnes et solides murailles qui défieraient au besoin une attaque à main armée. Ses habitans sont riches, industrieux, habiles, et les méchantes langues disent que l’argent est aimé dans cette ville « à ce point que jamais l’on ne s’inquiète de son origine. »

À partir de Nedroma, nous commençâmes à escalader les montagnes kabyles. Sur toute la route, nous trouvions des gens furieux d’être obligés de se soumettre, mais payant sans mot dire l’arriéré. La vue du régiment du colonel de Mac-Mahon les rendit doux comme des moutons, et ils avaient raison, je crois, car le colonel était connu pour ne point plaisanter une fois une affaire engagée. Tout se passa donc de la meilleure grace du monde, et, ayant regagné de nouveau la plaine avant de franchir le col qui nous conduisait au poste d’Aïn-Temouchen, sur la route de Tlemcen à Oran, nous pûmes courir le lièvre par un soleil magnifique. En chasse, le général reçut des dépêches qui lui annonçaient l’heureuse réussite du coup de main sur les Hamian-Garabas. Après une marche de vingt-cinq heures, le général Cavaignac les avait atteints et complètement rasés. Ce fut notre dernier beau jour. La pluie nous prit dans la nuit et commença à tomber par torrens. Le diable bat sa femme, dit-on en France lorsqu’il pleut. Il faut qu’il y ait en Afrique un diable dont la femme soit bien sujette aux larmes, car des seaux, d’eau jetés, de seconde en seconde peuvent seuls donner une idée de ces pluies qui tombent sans jamais s’arrêter. Ah ! comme les terres du Sidour, la Brie de la province d’Oran, étaient agréables pour nos chevaux ! On y enfonçait, on y pataugeait, on y glissait en descendant les côtes, et on y jurait surtout, car muletiers et officiers sont de même pâte, la colère venue. Enfin nous arrivâmes à Aïn-Temouchen ou nous pûmes nous réchauffer à l’abri. Lorsque l’insurrection de 1845 éclata, le poste d’Aïn-Temouchen