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« Un rayon pourtant fut laissé par miséricorde, et ce rayon se transmet d’ame en ame. Heureux ceux qui le rencontrent ! il les, sauve de la mort et leur donne part de Dieu. L’amour est ce rayon, l’amour ; dernier lien de la terre et du ciel ;

« Et comme du ciel était resté le rayon de miséricorde qui donnait le bonheur des anges, l’esprit du mal fut jaloux.

« Et des profondeurs de la terre sortit une lueur fatale, et cette flamme gagna aussi d’ame en arme. Alors beaucoup souffrirent, et tous dirent : L’amour nous a mis en grande douleur.

« Tous étaient trompés, et Satan riait, car il semait partout le désespoir, et les ames arrivaient à lui.

« Si un matin tu te sens devenir meilleur, si tu reçois tes pensées d’en haut ; enhardis ton cœur et dis : J’aime.

« Si tu ne connais que le dévouement, enhardis ton cœur et dis : J’aime.

« Si toujours oublieux de toi, tu veux le bonheur pour celle à qui tu penses, enhardis ton cœur et dis : J’aime.

« La lueur de l’enfer est loin, le rayon du ciel te remplit ; aie confiance. »

— Ami, reprit mon compagnon lorsque la dernière note eut été emportée par la brise, il y a là un parfum des jasmins de Grenade, et il me semble entendre le murmure des eaux dans les jardins du Généralife ; mais, assez de discussions. Qu’importent les systèmes ! les faits seuls ont quelque valeur : ce qui est écrit est écrit. Si je dois le comprendre et l’éprouver, je le comprendrai et l’éprouverai, à moins que la fin du monde ne vienne me surprendre.

— Vous autres ; vous vous raillez de tout, dit Caddour ; souhaite pour toi de ne pas voir les temps qui précéderont la fin des siècles.

— Eh ! qu’y aura-t-il donc alors de si extraordinaire ?

— Les temps ont été prédits, dit Caddour, et, lorsque les iniquités auront rempli la coupe, les cercles de fer qui tiennent enfermée la race des hommes terribles entre les pitons des deux montagnes, s’écarteront, et ils se précipiteront à travers le monde pour le dévorer, desséchant les fleuves, en les buvant ; détruisant les arbres et les fruits, semant sur leur passage le carnage et la mort.

— Lieutenant, le général vous demande avec Si-Caddour, me dit en ce moment un planton qui, depuis un quart d’heure, me cherchait dans tout le camp.

— C’est bien, j’y vais. — Et c’est comme cela que finira le monde ? Repris-je tout en me dirigeant vers la baraque du commandait supérieur, où le général était descendu.

— Non, reprit Caddour, car Dieu est, miséricordieux, et Si-Aïssa (Notre-Seigneur-Jésus-Christ), qui n’est point mort, descendra du ciel pour rétablir la paix dans le monde.

— Ainsi soit-il ! ajouta mon camarade. C’est égal, voilà un joli conte. Caddour à demain ; viens déjeuner avec moi, tu as une trop belle imagination pour que je ne veuille pas te revoir.

— Quand il aura passé trois ans dans le pays ; me disait Caddour, au