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je retournai quatre fais au Gymnase tout ce temps-là, j’ai été heureux et ces émotions me reviennent par des soirées comme celle Mais aussi elle était si digne, si confiante dans son amour ! elle avait tant de grace ! et comme elle mourait ! Voilà pourquoi je suis amoureux ce soir ; heureusement qu’il ne fait pas toujours si beau. Au fait, sais-tu ce que c’est que l’amour ?

— Je crois, répondis-je, que le poète a eu raison de dire :

L’amour, hélas ! l’étrange et la fausse nature,
Vit d’inanition et meurt de nourriture.

Mais cet Arabe qui se promène là-bas avec Manuel, l’Espagnol, aura bien sans doute une définition à ton service.

Et sans attendre la réponse de mon camarade, j’appelai par son nom l’Arabe que je venais de reconnaître :

— Caddour ! viens par ici. Veux-tu un cigare ? Ils sont bons ; c’est Dolorita d’Oran qui me les a vendus.

— Donne, dit Caddour après avoir échangé le salut. Est-il venu des nouvelles ?

— Rien que je sache, lui répondis-je.

— Bien.

— Voilà mon ami qui veut te faire une question. Sa pensée est en France, il a emporté un souvenir ; il ne sait pourtant pas si ce souvenir est dans son cœur ou dans sa tête. Il me demandait donc ce que c’était au juste que l’amour. Ma réponse ne lui plaît pas. Toi, qu’en penses-tu ?

— As-tu jamais vu, me répondit Caddour, un petit oiseau venir chercher refuge sous la tente, lorsque l’hiver envoie la neige froide et la pluie glacée ? Le pauvret respire un instant le chaud et le bien-être ; bientôt, poussé par la force d’en haut, l’instinct, il regagne les airs ; il vole vers la souffrance. Ce que la chaleur de la tente est au petit oiseau durant une seconde, l’amour l’est pour l’homme une halte où il reprend des forcis. À ceux à qui Dieu destine puissance et action, il donne grand cœur et grand amour.

— Ceci me semble sujet à discussion, repartit mon ami, et Manuel trouvera bien dans un recoin de sa tête une explication meilleure que celle-là.

— Oui, répondit. Manuel, Espagnol au teint bronzé, dont l’œil ardent et le regard toujours droit et rapide indiquaient le caractère décidé, oui vraiment, je me souviens d’un chant que les femmes de Grenade répètent souvent ; il vient, je crois, des Maures.

Et il nous chanta d’une voix lente et grave ces paroles d’un romance espagnol dont voici la traduction.

« Quant aux jours du commencement Dieu punit le monde, il déroba de sa lumière ; et le soleil, reflet de Dieu, perdit de sa clarté de feu ; et les nuages gris et les jours sombres parurent pour la première fois.