Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/1074

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réputation. On citait sa piété, et les gens des douars racontaient que, tous les vendredis, il se rendait, les pieds nus, au tombeau de Si-Bou-Medin, passait la nuit en prière, et que de sa bouche sortaient les paroles de Dieu, lorsqu’il quittait les lieux saints, car l’esprit d’en haut le visitait. Cette croyance fut bientôt générale, et tous se préparaient à le reconnaître pour chef.

Le vieux Mustapha Ben-Ismaël, instruit de L’agitation qui régnait du côté de Tlemcen, sachant que Bou-Hamedi commençait à concevoir des craintes sérieuses et n’avait pu parvenir à s’emparer de Mohamed-Ben-Abdallah, crut que l’on pouvait se servir du marabout comme d’un levier puissant pour attaquer l’émir. Sur le rapport de Mustapha, le général de Lamoricière autorisa notre vieille allié à se mettre en relations avec Mohamed Ben-Abdallah ; secours et protection lui furent promis, une première entrevue arrêtée ; mais, le 3 décembre, au moment où elle allait avoir lieu. Bou-Hamedi coupa la route, à Mohamed-Ben-Abdallah. Trois semaines plus tard, relevé de cet échec, Mohamed demandait une entrevue nouvelle, et le colonel Tempoure, appuyant le goum de Mustapha avec une petite colonne d’infanterie, se mettait en route par un temps affreux. Le 28, accompagné seulement de quelques officiers et des gens de Mustapha, il marchait à la rencontre du nouveau chef.

Les cavaliers se déroulaient en longues files sur les escarpemens d’une montagne élevée ; à leurs pieds s’étendait la vallée de la Tafna avec ses riches cultures, à l’horizon, apparaissaient les blanches murailles de Tlemcen, la ville des sultans. Tout à coup, au détour de la montagne, ils découvrent les collines et les mamelons couverts des gens des tribus. Des deux côtés, les étendards s’arrêtent, les cavaliers restent immobiles, et les chefs s’avancent entre ces haies vivantes. Mustapha mit le premier pied à terre il rendait ainsi hommage, en présence de tous, au caractère religieux de Mohamed-Ben-Abdallah ; mais ce dernier, descendant de cheval ; le serra dans ses bras, sans lui permettre d’autre marque de déférence. Ceux qui assistaient à l’entrevue ont raconté depuis que le général Mustapha, après s’être incliné devant le chef français, le colonel Tempoure, prononça ces paroles : « Le jour de ma vie où le bonheur m’est venu le plus grand, c’est celui-ci, car, par mes soins, je vois naître l’estime et l’amitié entre les Français et un personnage aussi vénéré. Grace au Dieu tout-puissant, ce jour est le commencement de l’union qui doit se sceller entre les deux races sous la protection du grand sultan de France. Quant à moi, les derniers jours qui me restent ne sauraient recevoir un emploi plus salutaire que celui de travailler à la paix du pays et à l’élévation de ta maison, ô Mohamed, de ta maison déjà si illustre parmi nous. »