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colonisation future. Il jura d’avoir, lui aussi, des moutons à la longue laine et à la chair délicate ; depuis, il a tenu la promesse faite sur un couscouss arabe, le serment du figuier. De belles constructions, une population active et laborieuse, animent maintenant ce pays, naguère si désolé et pourtant si plein de grandeur. L’impression que vous gardez de ces lieux est singulière. Si le voyageur gravit la ruine la plus élevée et laisse son regard errer sur la plaine immense, il est saisi par une de ces sensations qui sort, en Afrique, des entrailles mêmes de la terre, et que le pays de France n’a jamais fait éprouver. Devant lui, à ses pieds, les grands lacs salés, dont les facettes de diamans éclatent sous le soleil ; à droite, les lignes onduleuses de la terre, qui, se mariant au mirage de l’air, semblent flotter et se perdre dans la brume, sur la gauche, des collines verdoyantes et boisées, dont le demi-cercle vient s’arrêter à Miserghin, pour se redressée en crête rocheuse, aride, et, s’élevant peu à peu, atteindre le sommet de Santa-Cruz, ce piton de pierre que les Espagnols avaient choisi pour fonder une forteresse d’où le regard rayonnait sur tout le pays. Plus loin, se confondant avec le ciel bleu, l’œil découvre une ligne plus foncée c’est la mer dont les flots ont baigné les rivages de la Provence ; mais, sur la droite, l’aspect sauvage de la montagne des Lions rappelle que l’on est bien loin de cette terre. En contemplant ces solitudes, un sentiment indicible s’empare de l’ame ; on éprouve de la tristesse ; cette tristesse pourtant est pleine de grandeur ; loin d’abattre, elle élève. Les ombres des siècles passés vous couvrent, et ces plaines, ces montagnes, où tant de peuples luttèrent tour à tour, semblent avoir gardé une vertu mystérieuse qui vous domine. De là vient peut-être l’attachement que tous ceux qui ont vécu là-bas éprouvent pour ce sol, pour ce pays, et cela depuis le chef jusqu’au soldat, qui, de retour en France, lassé bientôt de l’existence monotone qu’il y rencontre, va de nouveau chercher le hasard, l’imprévu, et ces brises de l’Afrique dont il ne peut plus se passer.

Il se passerait pourtant bien de la pluie et du brouillard ; mauvaise rencontre, je vois jure, — surtout lorsqu’il faut escalader les gorges étroites et les sentiers glaiseux du Tessalah. À peine avions-nous pénétré dans les montagnes, que la brume arrêtait le regard à deux pas de la tête de nos chevaux. Un homme de France eût probablement à notre place, mis pied à terre ; nous étions trop paresseux pour cela et, au risque de rouler dans les ravines, nous cheminions, le capuchon du caban rabattu sur les yeux, fumant un cigare et nous confiant à la sûreté des jambes de nos chevaux. — Si mon cheval me fait rouler dans le ravin, il fera aussi la culbute, disait un chasseur de l’escorte ; ainsi tu comprends, bonhomme, ajoutait-il en causant avec son cheval, habitude que donnent les longues routes et la solitude,