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laine ? Il est permis d’en douter ; des personnes très bien informées assurent que le bénéfice retiré par l’agriculture ou plutôt par la propriété territoriale (qui n’est pas nécessairement la même chose que l’agriculture) du droit, de 22 pour 100 dont est frappée la laine étrangère, est très problématique[1]. Serait-ce donc la viande ? C’est possible, et pourtant la quantité de viande sur pied que peut nous fournir l’étranger est bien bornée. Si on laissait entrer librement cette denrée, on peut croire que les prix n’en seraient pas sensiblement affectés, excepté dans quelques localités de la frontière. Cependant, les éleveurs, abusés sur leurs véritables intérêts, sont presque tous du côté des protectionistes ; c’est pour ceux-ci une alliance puissante mais, tout récemment, les éleveurs ont pu faire une découverte importante à savoir que le monopole dont les bouchers sont officiellement investis dans Paris, et qu’ils exercent de fait dans la plupart de nos villes, est, pour le bétail, une cause de dépréciation bien autrement énergique que ne pourrait l’être l’abandon du système protecteur, au gré même de ceux qui s’exagèrent le plus l’effet des lois de douanes. Renoncer à la protection ne sera rien pour les éleveurs, si la boucherie devient libre en droit et en fait. Que l’autorité qui paraît mollir à Paris sur la question de la boucherie, se réveille, que la boucherie soit proclamée et devienne libre, et les éleveurs n’auront que des actions de graces à adresser au gouvernement, quand bien même, au même instant, l’entrée de la viande serait déclarée parfaitement libre.

Je n’insiste pas davantage sur ce projet de programme ; je le présente non avec la prétention d’avoir trouvé la formule définitive, mais avec le désir de fournir un texte à la discussion. Les Anglais ont mis une vingtaine d’années, depuis Huskisson jusqu’à Peel, à effectuer le passage du système protecteur à la liberté presque complète dont ils jouissent aujourd’hui, abstraction faite des droits purement fiscaux. Ne chicanons pas pour quelques années de plus ou de moins. Mettons vingt années, vingt cinq, plus encore à faire l’évolution ; mais commençons enfin, commençons résolûment. Qu’il ne soit pas dit plus long-temps de nous que nous sommes un peuple chez lequel les révolutions s’exécutent en un tour de main, tandis que les réformes les plus indispensables et les mieux justifiées p rencontrent d’insurmontables obstacles.


MICHEL CHEVALIER.

  1. C’est un fait de statistique que l’abaissement du droit de 33 pour 100 à 22 en 1835 n’a pas été suivi de la baisse de la laine française. Pareil fait a été constaté en Angleterre après la suppression entière des droits. (Voir une note publiée il y a quelques années par M. Seydoux, du Cateau, et l’Economist anglais du 22 avril 1848.)