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parlaient de la liberté du commerce avec respect. On s’inclinait devant le principe. C’était le but vers lequel il fallait tendre, de l’aveu de tous ; le gouvernement avait toujours eu soin de le dire quand il avait présenté des lois dites protectrices[1], et les parties intéressées à la protection paraissaient l’accepter elles mêmes. Vers 1841, on sentit fort ; la lice avait pris pied au logis avec ses petits, une coalition habilement ourdie, ou le plus grand nombre des coalisés jouait le rôle de dupe, donnait aux meneurs une puissance extrême, ils n’attendaient plus que l’occasion, pour jeter le masque ; la politique leur en fournit une. Les événemens de 1840 dans l’Orient et le traité du 15 juillet venaient de raviver dans le pays le patriotisme guerroyant et exclusif. Les chefs des protectionistes résolurent d’en profiter pour ériger la protection en un principe absolu de droit public. Le marché national aux produits nationaux ! s’écrièrent-ils ; et cette devise charma aussitôt l’imagination du vulgaire qui regardait alors plus volontiers que jamais au travers des besicles du chauvinisme.

Immédiatement les meneurs protectionistes constatèrent leur force par un coup d’autorité. À la fin de 1841, l’idée dont on avait vaguement parlé jusque-là d’une union douanière entre la Belgique et la France, semblable au Zollverein qui avait groupé autour de la Prusse, pour leur plus grand bien, une multitude d’états secondaires de l’Allemagne, acquit de la consistance dans les régions politiques. Le gouvernement belge en prit formellement l’initiative. Le roi des Belges, vint tout exprès à Paris. Le gouvernement français fit à cette ouverture l’accueil qu’elle méritait. Il n’y avait pas de mesure qui pût donner plus de relief à la dynastie de juillet. C’était un acte de politique extérieure plein de cette décision dont le public reprochait au gouvernement d’être dépourvu envers les puissances européennes. C’eût été sans péril pour la paix de l’Europe. Pour les industries françaises, c’eût été finalement plus profitable qu’inoffensif. Quelques-unes en eussent été stimulée un peu vivement, mais tant pis pour elles si elles en avaient besoin ; à qui la faute si elles avaient négligé d’utiliser le bénéfice de la protection pour se mettre à la hauteur de l’industrie étrangère ? l’épreuve n’eût pas été au dessus de leurs forces ; mais les protectionistes s’émurent, non, ils se soulevèrent. Les comités, déjà constitués dans l’ombre au sein de beaucoup d’industries, se réunirent. On s’échauffa mutuellement, on mit en mouvement de gré ou de force beaucoup de députés, et, les faisant marcher devant soi, on alla signifier aux ministres

  1. On peut s’en assurer en lisant les exposés des motifs présentés par M. de Saint-Cricq Je renvoie particulièrement à celui du 21 mars 1829, où se trouvent ces paroles : C’est que nous aussi nous croyons qu’il faut tendre vers la liberté commerciale, etc. Je pourrais citer aussi des écrits publiés vers la même époque par des partisans les plus ardens de la protection qui sont remplis d’éloges pour le principe de la liberté commerciale.