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l’industrie anglaise des soieries a pris une force nouvelle. Chez nous, en 1843, l’égalité des droits devait anéantir le sucre indigène. Cette admirable industrie a-t-elle succombé ? Non ; c’est l’industrie coloniale qui, même avant d’être bouleversée par les événemens de 1848, demandait grace. En pareil cas, il ne se ferme d’ateliers que ceux qui étaient mal placés où qui travaillaient dans des conditions inadmissibles. C’est fâcheux pour les intéressés, c’est affligeant pour tous les hommes bienveillans ; mais, en vérité, parce qu’un individu aura mal choisi le siége de son industrie on s’obstinera à travailler dans des conditions impossibles, faudra-t-il qu’il ait le droit d’imposer à perpétuité un tribut à la société ? A chacun son droit, à chacun la responsabilité de ses affaires propres. Si on prétend soutenir indéfiniment, par une taxe sur la société, les chefs d’industrie qui ne peuvent se soutenir eux-mêmes, c’est le droit au travail qui ressuscite. Si le droit au travail est reconnu au profit des manufacturiers par la vertu du système protecteur, je demande pourquoi on ne l’inscrit pas dans la constitution au profit des ouvriers. La loi de responsabilité est la même pour tous ; mais, s’il fallait faire une exception, il me semble qu’elle devrait être plutôt en faveur des classes pauvres.

Je conviens que c’est un dérangement pour quelques personnes qui avaient espéré se faire ici-bas une vie de quiétude ; mais nous sommes ici-bas pour être dérangés : c’est une épreuve que le Créateur a imposée à l’espèce humaine. L’épreuve est rude quelquefois ; cependant nous n’avons pas le droit de nous en plaindre, je ne dis pas seulement devant Dieu ; mais même devant les hommes, lorsqu’elle arrive à la suite de la vraie liberté et de la justice, surtout si nous avons été avertis de l’imminence de sa venue. Celui-là seul peut dire que la Providence est sévère, et que les hommes sont persécuteurs, qui a pour lui la justice et la liberté. Comment l’industrie, échapperait-elle à cette loi suprême ? Tout y est mouvement, et par conséquent dérangement : la betterave dérange la canne, sauf à être dérangée un jour elle-même par quelque autre plante ; les chemins de fer dérangent les diligences et le roulage ; le bateau à vapeur, la navigation à la voile ; le coton dérange la laine et le chanvre ; la mécanique dérange le travail à la main. Une machine chasse l’autre, un procédé supplante celui qui, la veille, semblait le nec plus ultra de l’intelligence humaine. La concurrence renverse nos calculs, et, à travers tous ces dérangemens, il y a un progrès continu : la perfection croissante et le bon marche des produits, ou, en d’autres termes, l’abondance.