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Nous attendîmes dans un silence plein d’anxiété que le souffle de l’un de nos deux chevaux se fit entendre. Ce silence dura une minute, un siècle ! Ce fut mon cheval qui hennit le premier. Le colonel ne manifesta sa joie par aucun signe extérieur, mais sans doute il remerciait Dieu du plus profond de son ame.

— Vous m’accorderez une minute pour me recommander au ciel ? dis-je au colonel d’une voix éteinte.

— Cinq minutes vous suffiront-elles ?

— Oui, répondis je. — Le colonel tira sa montre. J’élevai vers le ciel brillant d’étoiles, que je croyais contempler pour la dernière fois, une ardente et suprême prière.

— C’est fait, dit le colonel.

Je ne répondis rien, et, d’une main mal affermie, je ramassai la bride de mon cheval, que je rassemblai entre mes doigts agités d’un tremblement nerveux.

— Encore une minute, dis-je au colonel, car j’ai besoin de tout mon sang-froid pour exécuter l’effrayante manœuvre que je vais commencer.

— Accordé, répondit Garduño.

Mon éducation, je vous l’ai dit, avait été faite dans la campagne. Mon enfance, une partie de ma première jeunesse, s’étaient passées presque à cheval ; je puis dire sans trop me flatter que, s’il y avait quelqu’un dans le monde capable d’accomplir cette prouesse équestre, c’était moi. Je fis sur moi- même un effort presque surnaturel, et je parvins à recouvrer tout mon sang-froid en face de la mort. À tout prendre, je l’avais bravée déjà trop souvent pour m’en effrayer plus long-temps. Dès ce moment, je me pris à espérer encore.

Lorsque mon cheval sentit pour la première fois, depuis ma rencontre avec le colonel, le mors serrer sa bouche, je m’aperçus qu’il tressaillait sous moi. Je me raffermis vigoureusement sur mes arçons pour faire comprendre à l’animal effrayé que son maître ne tremblait plus. Je le soutins de la bride et des jambes, comme fait tout bon cavalier dans un passage dangereux, et de la bride, du corps et de l’éperon je parvins à le faire reculer de quelques pas. Déjà sa tête était à une plus grande distance de celle du cheval que montait le colonel, qui m’encourageait de la voix. Cela fait, je laissai reposer un peu la pauvre bête tremblante, qui m’obéissait malgré sa terreur, puis je recommençai la même manœuvre. Tout à coup je sentis ses jambes de derrière manquer sous moi ; un horrible frisson parcourut tout mon corps, je fermai les yeux comme si j’allais rouler au fond de l’abîme, et je donnai à mon corps une violente impulsion du côté du mur de l’hacienda, dont la surface ne m’offrait pas une saillie, pas un brin d’herbe pour prévenir une chute. Ce brusque mouvement, joint à un effort désespéré que fit le cheval, me sauva la vie. Il s’était remis sur