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des écoles socialistes. Je le demande à nos manufacturiers protectionistes, qui repoussent avec tant de vivacité le socialisme en disant que c’est l’émanation de mauvais sentimens, anciens comme le monde, en vertu desquels, de tout temps, il y a eu des sectes, des factions, des coteries, des classes ou des individus qui ont voulu que la société leur donnât plus qu’ils ne lui rendaient eux mêmes : cette insoutenable prétention ne se retrouve-t-elle pas au fond du système prétendu protecteur ? Au lieu de dire à chacun : « Tu es libre, donc tu es responsable de ton sort ; travaille plus et mieux qu’un autre, si tu veux être traité mieux, » le protectionisme, comme un démon tentateur, souffle à l’oreille des chefs d’industrie que c’est pour eux un droit de se faire subventionner par le public, que chaque branche de l’industrie nationale a le droit de prospérer aux frais de la société. Les chefs d’industrie n’ont pas résisté à ce sophisme séduisant et les gouvernemens se sont inclinés comme s’ils eussent eu devant eux la vérité en personne. Il est donc convenu que, si l’on ne peut ou ne veut approvisionner la société aux conditions indiquées par le cours des produits sur le marché général, il y aura de droit un supplément de prix ; c’est la société qui paie. La prime sera d’autant plus forte que l’industrie dont il s’agit aura été plus nonchalante ou moins intelligente, sera restée plus en arrière ou travaillera plus mal. Voilà la justice distributive du système protecteur. Si c’est de la bonne justice, je prie qu’on dise comment on réfutera la célèbre doctrine promulguée au Luxembourg en 1848, d’après laquelle la part de chacun dans le revenu social devait être proportionnelle non aux services rendus, mais aux besoins.

En partant de cette fausse idée que toute industrie française a le droit de prospérer aux dépens du peuple français, les protectionistes raisonnent de la manière suivante : pour chaque producteur il y a un prix nécessaire, c’est l’expression sacramentelle ; il faut donc élever le droit de douane assez haut pour que le produit similaire de l’étranger ne puisse être vendu que bien au-delà de ce prix. Ce raisonnement pèche par la base : il n’y a point de prix nécessaire. Toute l’histoire de l’industrie se résume en une suite de perfectionnemens à la faveur desquels les frais de production de la plupart des articles tendent sans cesse à baisser et baissent rapidement, à moins qu’un monopole ne les en empêche Ce qui s’est accompli à cet égard depuis un demi-siècle est admirable. Le prix nécessaire du commencement de l’année souvent n’est plus celui de la fin ; le prix nécessaire d’une fabrique de l’Alsace n’est pas celui d’une fabrique de la Normandie. La société ne doit aucun prix absolu aux chefs d’industrie. C’est le producteur qui a lui, un devoir envers la société, devoir dont rien ne peut l’affranchir, celui de suivre les progrès de son art, en quelque pays qu’ils se révèlent ; et