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coton, à fabriquer de la quincaillerie, de l’acier ou du fer brut, lui auraient donné le moyen d’en acheter un million sur les marchés de la France, du Portugal, de l’Espagne des Canaries, ou du Cap. Elle serait donc appauvrie de neuf cent mille hectolitres de vin. Aurait-elle pour cela résolu le problème d’occuper plus de bras ? Non, car s’il est vrai que la culture de la vigne dans des serres donnerait de l’emploi à un grand nombre d’hommes, il n’est pas moins vrai que le capital absorbé par cette folie viticole eût suffi à occuper ces mêmes hommes dans d’autres industries beaucoup plus naturelles et beaucoup plus raisonnables parce qu’elles seraient beaucoup plus productives. Si on m’objecte que cet exemple est fantastique, j’en prendrai un autre tiré incontestablement de la réalité. En France, quand on a eu écarté, par un droit de douane exorbitant, le fer étranger, il s’est produit du fer en plus grande quantité, mais c’est avec des capitaux qui eussent été mieux employés dans d’autres fabrications. Pour peu qu’on ait observé le mécanisme des échanges internationaux, on sait qu’un pays n’importe des marchandises étrangères qu’à la condition d’exporter des siennes. Les produits se paient avec des produits : c’est un point de fait. L’or et l’argent n’interviennent dans les échanges internationaux que comme des termes de comparaison pour la supputation des valeurs ou comme de faibles appoints pour solder les comptes. Si la France achetait au dehors cent millions de kilogrammes de fer, elle exporterait une quantité correspondante des objets de sa fabrication. De là donc un surcroît de travail dans quelques-unes des branches de l’industrie nationale. Et quelles sont ces branches qui se développeraient ainsi ? Évidemment celles où nous excellons, celles où une quantité déterminée de capitaux et de bras donne les meilleurs résultats, c’est-à-dire celles où les objets obtenus par l’activité d’une quantité déterminée de bras et de capitaux représentent sur le marché général du monde la somme la plus grande de valeurs. Et voici la conséquence : par ce retour des échanges avec l’étranger nous nous procurerions 2 de fer, tandis qu’en fabriquant notre fer nous-mêmes, avec les mêmes capitaux et le même nombre de bras, nous en avons 1 et demi ou 1, et nous eussions occupé une quantité de bras qui, selon la nature des industries, eût pu être plus considérable tout aussi bien qu’elle eût pu être moindre.

Il y a une autre raison pour que la promesse du système protecteur de féconder le travail national, et même celle de fournir effectivement du travail à un plus grand nombre de bras, soient des illusions ou des gasconnades. La première condition pour que le travail des hommes soit très fécond c’est-à-dire pour qu’il ait beaucoup de résultats, en d’autres termes, pour qu’il donne beaucoup de produits, c’est qu’il ait l’assistance de beaucoup de capital. Les capitaux sont justement