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système protecteur, c’est-à-dire par le privilège conféré aux entrepreneurs des nouveaux ateliers de se faire payer une prime par leurs concitoyens, il est à peu près certain que, présentement au moins, il est nuisible ; car s’il eût été profitable dans l’état naturel des choses ; je veux dire sous le règne de la liberté et de la justice ; il est vraisemblable que les particuliers, guidés par l’instinct de leur intérêt, s’y fussent déjà décidés spontanément, ou qu’ils n’y eussent pas tardé. Toute évolution qui consiste à retirer le capital et les bras d’une certaine direction pour les porter dans une autre, n’enrichit la société qu’autant que les produits des nouveaux ateliers peuvent, sur le marché général du monde, s’échanger contre une masse d’argent plus grande que celle qu’on eut obtenue avec l’ancienne destination des mêmes bras et du même capital. En pareil cas, et alors seulement, le surplus du gain rendu aux entrepreneurs d’industrie par les nouveaux ateliers serait pour le pays, un bénéfice positif ; mais alors aussi pourquoi des droits protecteurs des industries protégées se protégeraient suffisamment toutes seules. En tout autre cas, le profit que font les entrepreneurs, par delà ce qu’ils retiraient précédemment des industries par eux délaissées, est pris sur le public ; et c’est pour celui-ci un sacrifice auquel personne n’avait le droit de le soumettre, car, encore une fois, on ne doit d’impôt qu’à l’état. Nous reculons jusques à la féodalité si notre droit public admet que, de particulier à particulier, il y ait autre chose de légitime qu’un échange de services librement consenti, sur le pied de la réciprocité.

Je ne conteste pas que le système protecteur fasse travailler ; mais fait-il travailler plus, ou plutôt fait-il travailler mieux, je veux dire plus utilement, avec plus de résultat pour la société ? Là est la question. Si quelque khan de Tartarie, installé aux Tuileries par un de ces accidens que nos dernières révolutions rendent incroyables, ordonnait que les ouvriers désormais travaillassent une main liée derrière le dos, il faudrait, pour procurer à la société française une très médiocre quantité de produits, que tout homme valide travaillât seize heures au moins par jour : cet édit sauvage ferait donc travailler plus ; il n’en serait pas moins un fléau. C’est que, dans le travail, il ne faut pas voir seulement l’effort que font les hommes. L’effort est, pour ainsi dire, l’aspect pénitentiaire du sujet. C’est au résultat, qu’il faut aller, c’est là la ce qu’il faut voir, jauger, pour se faire une idée juste de ce que valent et le travail ont il s’agit et le système qui le provoque. C’est ce résultat qui donne la mesure de l’utilité, de l’importance du travail. L’homme en effet ne travaille pas à la seule fin d’agiter son corps ou de fatiguer ses muscles. Il travaille pour se procurer des objets en rapport avec ses besoins ou avec les besoins de ses semblables, ce qui, par l’échange, revient au même pour lui. Autrement, celui qui passerait