Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chèrement achetés. Le gouveinernent chinois continue à montrer des dispositions hostiles envers les chrétiens ; mais l’insurrection du Kwang-si lui inspire de vives inquiétudes et fait diversion à ses projets contre les Chinois catholiques. Dans les missions annamites, le sang a coulé de nouveau. Le 1er  mai 1851, M. Augustin Schœffer, arrivé depuis trois ou quatre ans au Ton-king, a été décapité. En Corée, un diacre indigène a cependant pu pénétrer dans sa patrie, où il va tâcher de frayer encore à ses maîtres des voies trop souvent ensanglantées. Il serait d’ailleurs question de rapprocher encore du théâtre de ces périls le principal siège des missions. Le procureur des lazaristes s’est rendu à Ning-po, afin d’examiner s’il ne pourrait pas transporter dans cette ville la procure de Macao et l’établissement des sœurs de Saint-Vincent de Paul.

ALEXANDRE THOMAS.

Considérations sur l’idée et le développement historique de la philosophie chrétienne, par le docteur H. Ritter, professeur à Gœttingue[1]. — L’ouvrage traduit par M. Nicolas est une exposition sommaire des rapports divers dans lesquels se sont trouvés la philosophie et le christianisme depuis l’avènement de cette religion ; c’est aussi une sorte d’introduction à la philosophie allemande. À ces deux titres, il se recommande également à notre attention. La philosophie, chez les peuples chrétiens, compte, d’après M. Ritter, trois époques principales en chacune desquelles son attitude est fort différente. La première époque comprend elle-même deux périodes, dont l’une, qui se ferme avec les temps antiques, nous présente la philosophie luttant, unie à l’église, contre l’immixtion des idées païennes et concourant à la formation du dogme. Trois points la préoccupent surtout alors : le dogme de l’unité divine, le dogme de la rédemption humaine, l’idée de l’unité du génie humain. Dans l’autre période, c’est-à-dire dans le moyen-âge, les bases de la foi étant posées, la raison n’eut plus qu’un devoir : se ranger à son service. Sous le nom de scolastique, la philosophie démontra purement et simplement les doctrines de l’église, sans emprunter rien d’Aristote, qu’elle disait son maître, sinon son instrument logique. L’époque théologique se clôt ici ; avec la renaissance commence pour la philosophie une nouvelle évolution. La science, restée jusqu’alors dans le sanctuaire, en sort, et ses yeux, qui ne s’élevaient que vers Dieu, se portent sur le monde. Devant son regard curieusement investigateur bien des voiles tombent ; l’antiquité se découvre aux temps modernes, une terre inconnue apparaît aux vieux continens, tandis que la nature révèle à l’homme des secrets qui l’étonnent. La philosophie a cru voir au-delà de la foi ; cela décide de sa direction future. Son premier soin sera de se faire son domaine à part de celui de la religion. Bacon et Descartes ne rejettent pas le divin, ils l’écartent pour exercer au dehors plus librement leur pensée. Cependant après l’heure de la sagesse celle de l’hostilité sonne. Les philosophes du XVIIe siècle ont poussé de préférence l’esprit humain vers l’observation des phénomènes physiques et des lois mathématiques : leurs successeurs, au siècle suivant, nient le surnaturel, n’admettent pour la certitude qu’une base, le monde extérieur, qu’un principe pour la connaissance, les sens.

À ce moment naît avec Kant la philosophie allemande et s’ouvre une der-

  1. Traduction de M. Michel Nicolas, Paris, chez Marc Dacloux, 2, rue Tronchet.)