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circula sur son compte l’une des histoires les plus scandaleuses d’un temps trop fertile en scandales. Il fut sourdement accusé d’avoir tué un de ses domestiques. Une enquête dirigée par un homme qui jouait presque alors le rôle de tribun dans une certaine partie de la société, par M. Francis Place, le tailleur radical de Charing-Cross, démontra que c’était au contraire le duc qui avait failli être assassiné pendant son sommeil, et que l’assassin s’était ensuite lui-même coupé la gorge avec un rasoir ; mais la répugnance presque maladive que le duc de Cumberland avait à poursuivre publiquement les diffamateurs, et peut-être aussi son mépris pour l’opinion, laissèrent la calomnie se propager trop. De même, lorsqu’en 1830 la couronne passa sur la tête de Guillaume IV, dont les inclinations libérales étaient d’avance bien connues, le duc de Cumberland se trouva tout aussitôt en butte aux soupçons les plus injurieux pour sa loyauté de prince et de sujet. M. Joseph Hume l’accusa ouvertement de viser à changer l’ordre de la succession et de tramer un vaste complot à l’aide des loges orangistes dont il était le grand-maître. La vérité est que les tories les plus extrêmes, privés de l’appui qu’ils avaient eu sous George III et George IV dans les sympathies personnelles du monarque, comptaient naturellement, pour le remplacer, sur l’attachement opiniâtre que le duc de Cumberland avait voué à leurs principes. Tous ceux qui croyaient, et peut-être n’avaient-ils pas tort, que le maintien de la constitution anglaise tenait au maintien des bourgspourris et des sinécures, tous ceux qui ne voulaient entendre parler ni d’émancipation religieuse, ni de réforme électorale, tous ceux qu’épouvantait Cobbett, qui détestaient Brougham, qui murmuraient le reproche d’apostasie contre un roi whig, tournaient les yeux vers le duc de Cumberland, qui était le prince selon leur cœur. Le duc avait en effet combattu à outrance le bill d’émancipation catholique de 1829 ; il avait déclaré « qu’on ne pouvait plus avoir confiance dans les hommes dangereux qui apportaient au parlement cette mesure fatale. » Il rompit même alors d’une façon éclatante avec le duc de Wellington, et résigna le commandement des horse-guards. Il ne lutta ni avec moins d’énergie, ni avec plus de succès contre la réforme électorale de 1831, contre la réforme des corporations municipales, contre la nouvelle loi des pauvres : c’étaient, à son sens, autant de mesures spoliatrices. Rien cependant n’eût été plus contraire à toutes ses idées que de ne point accepter sans arrière-pensée ce qui était une fois devenu la loi positive ; il ne connaissait et ne comprenait rien au-delà. Le jour où lord John Russell lui annonça que les loges orangistes d’Irlande ne seraient plus autorisées par la loi, le duc de Cumberland répondit qu’il était prêt à exécuter la loi « telle que l’avaient faite les trois états du royaume, the three estâtes of the realm. » Sa science constitutionnelle ne dépassait point les limites du vieux droit représentatif, mais elle s’attachait à ce vieux droit comme à la forte base de l’état.

Tels étaient les auspices sous lesquels le duc prit le gouvernement du royaume de Hanovre, dont la loi germanique excluait la reine Victoria, sa nièce. La constitution hanovrienne de 1819 avait été élargie en 1833 par le duc de Cambridge, qui administrait le pays au nom de Guillaume IV, Le nouveau roi commença par supprimer, sans autre forme de procès, la charte de 1833, qui lui déplaisait, d’abord parce qu’elle était l’oeuvre de son frère, et surtout parce qu’elle ne s’accordait point assez avec ses principes de monarchie aristocra-