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l’Italie ses arts; puis, forcé par l’évidence de rendre justice à son pays, il ajoute :

« Mais ce que la Russie doit éviter et ce qui tue l’Europe, c’est un esprit de présomption et d’orgueil ; c’est la maladie du doute et de l’impiété, c’est une certaine inquiétude de caractère et la manie de la discussion, qui détruit toute chose. Préservons-nous de la suffisance de l’Allemagne, de l’égoïsme de l’Angleterre, de la dépravation de la France et de la paresse de l’Italie; alors nous aurons à parcourir une carrière telle que jamais nation n’en a vu de pareille. Considérez l’étendue de cet empire, et vous serez effrayé; mais voyez ce peuple juste, gai, spirituel, d’une intelligence infatigable, d’une force gigantesque, et votre effroi se dissipera. Le gage le plus sûr de la future grandeur de la Russie, c’est sa puissante soumission.

« — Eh bien! répondit Wassili Iwanovitch avec bonhomie, si je te comprends bien, l’étranger est remarquable par son passé, et la Russie par l’avenir qui l’attend ! »

Les idées développées par Iwan Wassilievitch sur l’avenir politique de son pays ne sauraient manquer de frapper tout publiciste qui jette les yeux sur la carte de la Russie et pense à la constitution générale de cet empire, dont une volonté unique dirige à son gré les forces réunies, non point par une cohésion factice, mais par suite d’un pacte social consenti, où peuple et souverain voient réciproquement des devoirs à remplir plutôt que des droits à réclamer. A ceux qui, dans l’hypothèse du triomphe des idées révolutionnaires en Europe, pensent que la Russie finirait alors par se démocratiser, on peut hardiment affirmer qu’il n’est pas si pauvre paysan moscovite au fond de son isba qui ne se regarde aujourd’hui comme un soldat choisi de Dieu pour défendre, à son jour et à son heure, la religion de ses pères, et avec la religion l’autorité monarchique.

Dans ce livre, où les plus graves intérêts politiques et sociaux de la Russie sont discutés sous la forme de conversations familières, M. Solohoupe devait accorder une attention particulière à la question des rapports qui existent entre les propriétaires de la terre et les paysans qui la cultivent, ces hommes que, dans notre ignorance, nous nous obstinons à considérer comme des esclaves soumis à toutes les cruautés d’un maître dur et capricieux. C’est là un lieu-commun plein d’exagération déclamatoire, mais au fond duquel il est cependant un fait qu’on ne saurait nier, à savoir la servitude territoriale de toute une classe d’hommes. Cet état nous paraît avec raison blesser la dignité humaine et révolte nos sentimens de justice. La question est grave toutefois, et les meilleurs esprits de l’empire s’en sont occupés souvent sans oser émettre des conclusions. On sait, par exemple, en Russie que dès 1840 l’empereur Nicolas prit sur la question du servage une généreuse initiative au sein même du conseil de l’empire[1].

  1. C’est le premier corps politique de l’état.