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moharrem, premier mois de 1268) m’a donné sur les races chevalines en Algérie quelques détails qu’on ne lira pas sans intérêt.


« GLOIRE A DIEU L’UNIQUE. — SON REGNE SEUL EST ÉTERNEL.

Le salut sur celui qui égale en bonnes qualités tous les hommes de son temps, qui ne recherche que le bien, dont le cœur est pur et la parole accomplie, le sage, l’intelligent, le seigneur général Daumas, de la part de votre ami Sid-el-Hadj Abd-el-Kader, fils de Mahhi-Eddin[1].

Voici la réponse à vos questions.

Vous me demandez combien de jours le cheval arabe peut marcher sans se reposer et sans trop en souffrir. — Sachez qu’un cheval sain de tous ses membres, qui mange d’orge ce que son estomac réclame, peut tout ce que son cavalier veut de lui. C’est à ce sujet que les Arabes disent : Allef ou annef; donne de l’orge et abuse. — Mais, sans abuser du cheval, on peut lui faire faire tous les Jours seize parasanges : c’est la distance de Mascara à Koudiat-Aghelizan sur l’Oued-Mina, elle a été mesurée en drâa (coudées). Un cheval faisant ce chemin tous les jours, et qui mange d’orge ce qu’il en veut, peut continuer, sans fatigue, trois ou même quatre mois, sans se reposer un seul jour.

Vous me demandez quelle distance le cheval peut parcourir en un jour. — Je ne puis vous le dire d’une manière précise; mais cette distance doit approcher de cinquante parasanges, comme de Tlemcen à Mascara. Nous avons vu un très grand nombre de chevaux faire en un jour le chemin de Tlemcen à Mascara. Cependant le cheval qui aurait fait ce trajet devrait être ménagé le lendemain, et ne pourrait franchir, le second jour, qu’une distance beaucoup moindre. La plupart de nos chevaux allaient d’Oran à Mascara en un jour, et pouvaient faire deux ou trois jours de suite le même voyage. Nous sommes partis de Saïda vers huit heures du matin, pour tomber sur les Arbâa, qui campaient à Aaïn-Toukria (chez les Oulad-Aïad près Taza), et nous les avons atteints au point du jour. Vous connaissez le pays, et vous savez ce que nous avons eu de chemin à faire.

Vous demandez des exemples de la sobriété du cheval arabe et des preuves de sa force pour supporter la faim et la soif, — Sachez que, quand nous étions établis à l’embouchure de la Melouïa, nous faisions des razzias dans le Djebel-Amour, en suivant la route du Sahara, poussant nos chevaux, le jour de l’attaque, dans une course au galop de cinq à six heures, d’une seule haleine, et accomplissant notre excursion, aller et retour, en vingt ou vingt-cinq jours au plus. Pendant cet intervalle de temps, nos chevaux ne mangeaient d’orge que ce qu’ils avaient pu porter avec leurs cavaliers, environ huit repas ordinaires; nos chevaux ne trouvaient point de paille, mais seulement de l’alfa et du chiehh, ou encore, au printemps, de l’herbe. Cependant, en rentrant auprès des nôtres, nous faisions le jeu sur nos chevaux le jour de notre arrivée, et frappions la poudre avec un certain nombre d’entre eux. Beaucoup qui n’eussent pas pu fournir ce dernier exercice étaient néanmoins en état

  1. C’est, personne ne l’ignore, l’habitude des Arabes de commencer leurs lettres par des complimens hyperboliques. En reproduisant ceux-ci, je n’ai donc pas d’autre but que de donner une idée du style oriental.