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aussitôt contredite ; enfin, après une assez longue station, qui fut diversement expliquée par les spectateurs, le traîneur de grèves remit à la voile et tourna l’île pour aborder à la coire espagnole. Dès qu’il eut disparu, M. Lefort s’approcha d’Annette, qui était restée à genoux, dans un abattement désolé.

— Levez-vous, ma fille, dit-il, avec un accent de douce autorité, que vous ayez à remercier Dieu ou à lui demander des consolations, venez le prier ! — Et, la prenant par la main, il entra avec elle à l’église,


V.

Tandis que les habitans de Piriac, réunis sur le port, se livraient à mille suppositions contradictoires, et qu’Annette continuait à prier devant l’autel de la Vierge avec une ferveur anxieuse, le drame commencé sur la grande terre se dénouait à l’île du Met, dans la cabane même de Marillas.

Près du foyer, où pétillaient des varechs desséchés, étaient assis Goron et Lubert, tels qu’ils avaient été sauvés par le traîneur de grèves, mais dans des dispositions singulièrement différentes. Le premier n’avait eu qu’à revenir à lui pour reprendre sa fermeté sombre, et, plus humilié qu’épouvanté de son naufrage, il tordait en silence ses manches de toile rousse qui ruisselaient d’eau de mer. Le grand Luc au contraire, les yeux dilatés, les lèvres pâles, tout le corps agité d’un mouvement convulsif, murmurait des interjections confuses et n’était point encore remis de son effroi. L’agonie qu’il venait de subir, cramponné sur la barque naufragée, avait brisé sa force, et les muscles lui manquaient, faute de cœur. On eût dit un de ces chênes à robuste apparence, mais creux au dedans, et que la première tempête couche à terre.

Vers le fond de la cabane, Marillas, étendu sans mouvement sur une couchette de matelot, faisait entendre la respiration sifflante qui annonce l’approche du moment suprême. Penché vers lui, Marzou suivait avec émotion cette dernière lutte entre la vie et la mort, et aux pieds de l’agonisant, Iaumic agenouillé répétait la seule prière qu’il eût apprise de sa mère.

Après un assez long silence, Goron se leva en se secouant d’un air farouche comme un loup qui sort de sa reposée ; il alla regarder à l’étroite fenêtre qui donnait sur la mer, et, revenant vers le foyer :

— Allons, debout ! dit-il brusquement et à demi-voix au grand Luc, voici le vent qui mollit, nous allons avoir une acalmie, faut en profiter pour repêcher la chaloupe.

— Où donc ? quelle chaloupe ? bégaya Lubert, qui tourna vers le marin son visage hébété.