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— Je n’ai point à mentir, dit le traîneur de grèves ému, mais d’un ton libre. Vous aviez menacé, il paraît, de me faire un mauvais parti ; votre fille a eu peur, et, comme elle allait chercher la Rougeaude, elle est descendue aux roches de Castelli pour m’avertir.

— Et le gars et la fille ont causé si fort, qu’ils n’ont pas entendu la mer venir, ajouta le gros Pierre en riant ; du diable si ça a besoin d’explications !

Goron se retourna vers le pêcheur les poings fermés ; mais, reportant tout à coup sa colère sur le traîneur de grèves : — Tu entends, vagabond ! s’écria-t-il, voilà, grâce à toi, la Niette diffamée.

— Ne croyez pas cela, maître Goron, dit vivement Marzou, une gausserie n’est pas un jugement ; ceux qui ont connu votre fille depuis ses premières pâques ne la condamneront pas ainsi sur un mot, et le gros Pierre lui-même, qui a sauvé son corps, ne voudrait pas tuer sa bonne renommée.

— Non, par mon baptême ! reprit le pêcheur, touché de l’appel du jeune garçon à sa bienveillance ; que les crabes me mangent les yeux, si j’ai voulu faire tort à la Niette ! Ce que j’en ai dit, c’est simplement pour parler, et parce que tout le monde sait que tu lui veux du bien !

— C’est faux ! s’écria Goron en frappant du pied. Grêle et tonnerre ! réponds-lui donc que c’est faux ; dis que la Niette ne t’est rien, que tu la sais trop haut pour toi ; dis que tu n’y as jamais pensé ! dis-le tout de suite !

— Faites excuse, maître Goron, mais je ne puis mentir, répondit le traîneur de grèves avec une fermeté triste.

— Alors tu avoues ton effronterie, chien de bâtard ! s’écria le patron exaspéré. As-tu entendu, Lubert ? voilà celui qui veut prendre ta place à la barre.

— C’est bon ! dit le grand Luc, qui, n’ayant pu jusqu’à ce moment mettre un mot dans la discussion, saisit l’occasion d’y mettre le poing ; pour lors nous allons savoir qui éreintera l’autre ; voyons, vite, ôte ta veste !

— C’est inutile, dit tranquillement Louis, je sais que tu es plus fort que moi.

Les spectateurs firent entendre un murmure d’étonnement.

— Voyez-vous ça ! il n’ose pas ! s’écria d’un ton triomphant Lubert, qui retroussait ses manches de laine et montrait ses bras d’athlète, mais j’ai tout de même envie de le corriger.

— Non, dit Goron, cela me regarde.

Et, s’approchant du traîneur de grèves presque à le toucher, il reprit, les dents serrées :

— Tu as peur du grand Luc, misérable Collard ! Eh bien ! voyons si tu auras plus de cœur avec un autre.