Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/936

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui l’empêchait de répondre. Quand elles virent qu’elles ne pouvaient rien apprendre, elles se retirèrent l’une après l’autre, échangeant mille conjectures qui se rapprochaient plus ou moins de la réalité. La jeune fille en entendit assez pour comprendre que la véritable cause ne tarderait pas à être connue, si elle ne l’était déjà, et elle frémit à la pensée de ce qui pouvait en résulter. Le lendemain, à son retour de la Turbale, son père allait tout apprendre, et, après ce qui s’était passé entre eux le jour même, elle ne pouvait espérer lui donner le change. Il verrait dans cette rencontre aux roches du Castelli, qui avait failli lui être si funeste, un rendez-vous avec le traîneur de grèves, et l’audace de cette désobéissance devait le pousser infailliblement à quelque violence.

Bourrelée d’angoisses, ne sachant à quoi se résoudre et ne pouvant rester sous l’aiguillon de ces inquiétudes, la jeune paysanne se décida à se lever pour se rendre chez le recteur et lui demander conseil. Elle trouva le vieux prêtre dans son jardin, où il cherchait la fraîcheur. On jouissait alors de ces belles soirées d’été où la nuit elle-même reste lumineuse, et elle l’aperçut se promenant dans la grande allée que bordait une double ligne de poiriers taillés en gobelets, et à l’extrémité de laquelle se dressait une horloge solaire dont le cadran d’ardoise était décoré de l’inscription sacramentelle : Et regit et regitur. M. Lefort venait d’apprendre l’aventure de la fille de Goron, et montra quelque surprise de la voir.

— Dieu soit loué ! je vous croyais en plus mauvais état, ma pauvre Niette, dit-il avec bonté, et il me plaît de vous trouver déjà remise d’une si rude secousse. Vous venez, je l’espère, pour que j’en remercie celui qui vous a conservée ?

— Pour cela et pour autre chose, monsieur le recteur, répondit timidement la jeune fille, car je suis en grand souci, et vous seul pouvez me secourir.

— Si ce n’était pas mon devoir, ce serait encore mon plaisir, reprit le vieux prêtre ; voyons ce que vous avez à me dire.

Annette regarda dans les allées du jardin faiblement éclairées, comme si elle craignait d’être entendue.

— Faites excuse, dit-elle en baissant la voix ; mais j’aimerais mieux parler ailleurs.

— Où donc cela, ma fille ?

— Au confessionnal.

— À cette heure, l’église est fermée, vous le savez, fit observer M. Lefort, et si nous rentrons au presbytère, la vieille Cattie vous verra et pourra en parler ; croyez-moi donc, mon enfant, restons ici ; Dieu est partout, et je vous réponds qu’il n’y aura que lui et moi à vous entendre.