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— Ne parlez pas ainsi légèrement, Loïs, dit la jeune fille, que le ton presque enjoué de Marzou rassurait insensiblement, et qui se sentait gagner malgré elle ; songez plutôt à ce que je suis venue vous dire. Peut-être ne connaissez-vous pas tout le danger. Quand la colère aveugle mon père, rien ne lui fait, et où il aura frappé, le grand Luc ne laissera rien. Pensez, pauvre gars, qu’il peut y aller pour vous de la vie.

— Ne craignez pas cela, Niette. On n’écrase pas un homme comme un crabe, d’un coup de talon.

— Et quand vous pourriez vous défendre, il vous faudrait donc lever la main sur mon père ?

— Jamais ! s’écria vivement le traîneur de grèves. Frapper celui qui vous a donné la vie ! non, non, ma Niette, vous ne pouvez le croire. Sa chair est votre chair, et ma main se lèverait plutôt contre les choses saintes.

— Je vous en remercie, cher gars, dit Annette attendrie de la chaleur que Marzou venait de mettre dans sa protestation : ceci prouve votre bon cœur et aussi votre amitié ; mais ne pas rendre le mal ne vous gardera point d’en souffrir. Que deviendrez-vous, pauvre homme, si mon père fait ce qu’il a dit ?

— Ce qu’il plaira à Dieu, Niette. dit le jeune garçon avec une sérénité courageuse ; nous sommes tous sous sa volonté comme la voile sous le vent. Qui sait s’il ne parlera pas aux cœurs endurcis ? Quand le patron me verra tout supporter, peut-être bien que je découragerai sa colère. S’il frappe, je baisserai la tête sans rien dire, et, à moins de male rage, il ne voudra pas redoubler. Ne craignez rien, allez : tant que vous voudrez du bien à votre serviteur, il aura assez de patience pour souffrir et assez d’esprit pour se sauver.

En prononçant ces derniers mots, Marzou avait relevé à demi la jeune fille, qu’il appuya contre son épaule avec une douce étreinte. Annette, à la fois honteuse, tremblante et ravie, résista faiblement. Elle était déjà loin de l’impression qui lui avait fait chercher le traîneur de grèves. Emportée au cours d’un épanchement que favorisait la solitude, elle avait vu succéder à son premier effroi de plus douces émotions, et, sans y penser, elle se trouvait ramenée vers les espérances mêmes dont elle avait voulu réclamer l’abandon. Dans cette entrevue, qui devait être un adieu, elle se sentait plus fortement ressaisie que jamais ; en voulant dénouer les liens, elle les avait resserrés. Elle essaya bien de balbutier quelques timides objections ; mais Marzou y opposa un de ces redoublemens de tendresse qui, sans répondre à rien, dissipent tous les doutes.

Cependant le temps s’écoulait, la nuit était venue, et, dans la demi-obscurité de la grotte, aucun d’eux n’y avait pris garde. Sous prétexte