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Marzou en souriant ; car, si je me rappelle bien, vous m’avez dit que vous étiez bon chasseur.

— Quand je demeurais sur la grande terre… Oui, je me croyais dans ce temps-là droit de vie et de mort sur tout ce qui ne portait pas face humaine. En venant ici, j’avais même acheté un fusil. Tu peux le voir encore là suspendu près de la porte.

— Et vous ne vous en êtes jamais servi ? demanda le traîneur de grèves.

— Une seule fois, le premier jour, dit Marillas. La barque était repartie ; je me trouvais seul, et je faisais le tour de mon domaine le fusil sur l’épaule comme Robinson ; les mouettes, les goélands, les cobriaux, qui n’avaient jamais été épouvantés par les chasseurs, descendaient presque sur ma tête et voletaient devant moi ; on eût dit qu’ils me faisaient les honneurs de l’île et qu’ils voulaient me la montrer. Je ne pensai d’abord à rien qu’au plaisir de les voir et de les entendre, c’était pour moi une société ; mais voilà qu’en arrivant près des rochers de la coire espagnole, je me rappelai que j’avais un fusil ; machinalement je mis en joue, et trois des oiseaux tombèrent en tourbillonnant dans la mer. Au coup de feu, tous les autres s’étaient dispersés. Je les vis bientôt redescendre l’un après l’autre vers ceux que j’avais tués, raser la vague pour les voir de plus près, puis s’envoler en jetant de grands cris. Quelques minutes après, il n’y avait pas un seul oiseau dans l’île.

— Mais ils revinrent le soir ? demanda le traîneur de grèves.

— Ni le soir, ni les jours suivans, répondit Marillas ; mon rocher était devenu un désert où je ne voyais plus rien de vivant, où je n’entendais plus que le bruit du ressac sur la grande plage. Au premier moment, je ne m’en inquiétai pas trop ; mais peu à peu on eût dit que la solitude passait du dehors au dedans ; je devins triste ; j’avais beau regarder aux quatre aires du vent, rien n’arrivait que les nuées qui passaient sur l’île sans rien dire et la mer qui hurlait au-dessous. Enfin, le sixième jour, deux goélands se montrèrent du côté de la cotre anglaise. Je n’osais pas m’approcher, de peur de les effaroucher ; mais, le soir, j’allai semer du grain sur le rocher. Le lendemain, il parut des mouettes, puis des cobriaux. Depuis, tous sont revenus comme tu peux voir ; j’ai retrouvé ma compagnie, et que le diable me torde si je m’avise encore de la chasser !

— Je comprends cela, dit Marzou : on se contente d’oiseaux quand on n’a pas d’autre voisinage ; mais à la grande terre vous trouveriez mieux.

— Ah ! tu crois ? s’écria le Béarnais, et qu’est-ce que j’y trouverais, dis-moi ? Des vauriens qui se mangent entre eux ? Je peux en voir ici ; je n’ai qu’à regarder les poissons.