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noroit[1] croisé sur une chemise de laine rayée, et un béret blanc qui descendait au-dessous des oreilles. À ses épaules pendait, en guise de manteau, une peau de génisse garnie de son poil, et dont la tête formait une sorte de capuchon. Cependant le premier frisson de la fièvre faisait trembler Marillas sous tous ces vêtemens ; il étendait au soleil ses mains glacées, et son visage terreux était agité de tressaillemens convulsifs.

Après lui avoir remis l’argent qui lui était dû, le traîneur de grèves lui demanda comment il se trouvait.

— Tu vois, répondit Luz avec son accent bref et dur, j’ai de la neige dans les veines ! Si c’était au pays, je croirais qu’un bronche[2] a enlevé, pendant que je dormais, tout le feu de mon sang pour redonner des forces à quelque vieux richard de la ville ; mais ici il n’y a pas de faiseurs de maléfices, et c’est un franc mal.

— Ne vaudrait-il pas mieux alors venir au bourg et appeler le médecin ? demanda Marzou.

— Au diable ! répliqua brusquement le Béarnais ; puisque je vis comme les loups, je veux guérir comme eux, sans autre docteur que sainte patience.

— À la bonne heure, dit le traîneur de grèves ; mais vous pouvez avoir besoin d’un peu d’aide, et vous êtes bien seul ici, maître Luz.

— Seul ! répéta Marillas ; ne vois-tu pas les milliers de goélands qui tourbillonnent au-dessus de la cabane, et qui, dès que vous serez partis, viendront manger à mes pieds et causer avec moi ? Puis, j’ai Debrua[3]…. Mais, Dieu me sauve ! je ne le vois plus…. où donc est-il ?

— Votre cobriau[4] apprivoisé ? reprit Marzou ; je l’ai laissé là-bas, du côté des chaloupes. C’est un méchant animal, savez-vous, maître Luz ? il veut mordre tout le monde.

— Excepté moi, dit le malade avec un sourire de satisfaction ; mais je vous trouve encore plaisans, vous autres, de vous plaindre ; est-ce que Debrua ne vous imite point, par hasard ? Il vous rend en coups de bec les coups de fusil que vous tirez à ses pareils. Tu appelles cela méchanceté ; moi je dis que c’est justice. L’homme est une bête féroce ; il ne sait pas encore se tenir debout, qu’il lance déjà des pierres aux chiens et aux moineaux ; dès qu’il aperçoit une chose vivante, il court dessus pour en faire une chose morte : c’est son instinct.

— Et vous l’avez suivi comme tout le monde, maître Luz, dit

  1. Nom donné à une jaquette très chaude destinée à se défendre contre le vent de nord-ouest.
  2. Bronche, nom donné aux sorciers dans le Béarn.
  3. Debrua est le nom que les Béarnais donnent à Satan ; ils le donnent souvent par plaisanterie aux animaux de couleur noire.
  4. Espèce de corbeau marin.