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le mois de juillet, quand les herbages jaunissaient sur pied et quand l’eau douce commençait à manquer, que les paysans venaient reprendre leurs poulains et leurs génisses.

On se trouvait précisément à cette époque, et plusieurs d’entre eux s’occupaient de réembarquer les bestiaux pour le continent dans les deux chaloupes habituellement employées à ce service. Toutes deux étaient conduites par Goron et Lubert, dit le grand Luc, qui, bien que différens d’âge et de caractère, se quittaient rarement dans leurs expéditions. Le premier avait été embarqué très jeune sur les navires de guerre, qu’il n’avait quittés que pour devenir pêcheur. La vie errante et aventureuse de la mer lui était devenue non-seulement une habitude, mais une nécessité, et la terre ne lui paraissait en réalité qu’un ancrage égayé par le cabaret. Aussi joignait-il à l’humeur violente du comté de Vannes, où il était né, un mépris brutal pour ceux qui ne vivaient pas comme lui de la lutte contre les flots. Quant à Lubert, c’était une espèce de sauvage, fort comme une baleine, féroce comme un requin, mais incapable de suivre jusqu’au bout la plus courte idée. Aussi Goron s’était-il habitué, selon son expression favorite, à le conduire à l’aviron.

Tandis que les deux patrons embarquaient le bétail, Louis Marzou, qui servait toujours d’intermédiaire entre le fermier de l’île et les laboureurs du continent, réglait avec ces derniers les droits de pâture ; il revint bientôt vers la cabane de Marillas, apportant l’argent qu’il avait reçu pour lui. Cette cabane était construite à l’une des extrémités de l’île, avec les débris de l’ancienne ferme incendiée par les Anglais: elle ne se composait que d’un rez-de-chaussée recouvert d’un toit de chaume qu’on avait chargé de galets, afin de le défendre contre le vent. À quelques pas, vers la gauche, on voyait la mare destinée à abreuver le bétail, mais que la chaleur avait presque mise à sec ; plus loin, un puits dont la margelle était formée par quatre fragmens de granit apportés là tels qu’ils avaient été détachés du roc, et, sur le monticule qui regardait Piriac, un mât de pavillon destiné aux signaux. Le reste de l’île était une savane encadrée d’une bordure de récifs au-delà desquels grondait la mer. Le regard en mesurait facilement toute l’étendue, et n’y rencontrait aucun arbre, aucun buisson, pas même une touffe d’ajoncs épineux ou de bruyères. Çà et là seulement se dressaient de hauts chardons tellement couverts d’escargots grisâtres, qu’ils ressemblaient à des rameaux pétrifiés. Le champ cultivé par Marillas eût pu montrer une végétation plus riche et plus verte ; mais, placé à l’autre extrémité de l’îlot, il était caché par la clôture dont il avait fallu l’entourer afin de le mettre à l’abri du troupeau.

Marzou trouva le Béarnais devant le seuil de sa cabane, et assis sur une moitié de cabestan, débris de naufrage jeté à la côte par les flots. Malgré la chaleur du jour, il portait un large pantalon de drap, un