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volontiers, comme l’Indien du Pérou : — pour du cuivre j’ouvre les yeux, pour de l’argent je me retourne ; mais, pour que je me lève, il faut de l’or.

Ceci était vrai surtout il y a quelques années, avant que les baigneurs paisibles, chassés de Pornic, du Pouliguen et du Croisic par la mode, fussent allés chercher un peu de solitude et de liberté dans les rochers de Piriac. Depuis qu’une route praticable a été ouverte, les visiteurs ne sont plus contraints de prendre, pour y arriver, des trains de mulets, comme dans les sierras de l’Espagne, ou un de ces chariots à bœufs en forme de nef, tels qu’en devait monter Gang-Roll, lorsqu’il parcourait les défrichemens de son nouveau domaine de Neustrie ; aujourd’hui les pataches et les coucous se disputent à Guérande les voyageurs. Aussi les plus hardis touristes de la Loire-Inférieure et de l’Ille-et-Vilaine commencent-ils à s’aventurer jusqu’à ce vieux repaire de protestans, catéchisés au XVIe siècle par le fameux pasteur François Baron, et à propos duquel les bourgs catholiques voisins avaient coutume de demander : Pire y a-t-il ? D’où est venu, au dire des savans du pays, le nom de Piriac.

Grâce à ces visiteurs, la population convertie de l’ancien village calviniste commence à prendre des habitudes plus civilisées: les maisons s’arrangent pour recevoir leurs hôtes de passage, une sorte de marché s’établit, des cabanes de baigneurs se dressent çà et là sur le rivage ; mais, vers la fin de la restauration, rien de pareil n’existait. Piriac n’était alors connu que des antiquaires de Nantes, qui ne l’avaient jamais visité, bien qu’ils en publiassent la description dans le Lycée Armoricain. Grâce à eux, un rocher, non loin duquel avait été enterré un des officiers de la garnison espagnole établie sur cette côte en 1590, et désigné depuis sous le nom de tombeau d’Almanzor (corruption d’Almanzar, le victorieux), était transformé en un autel druidique que sillonnaient des rigoles creusées pour le sang des victimes ; les épaves de minerai d’étain recueillies sur la grève devenaient des mines autrefois fréquentées par les Carthaginois, et le village de Penhareng, ainsi nommé en souvenir des bancs de harengs qui fréquentent ces parages, se changeait poétiquement en promontoire des harangues. Ces curieuses découvertes étaient d’autant mieux accueillies, que nul ne s’avisait de les vérifier. À peine si quelque étranger amoureux du désert étonnait de temps en temps la bourgade isolée ; encore celle-ci ne faisait-elle nul effort pour le retenir. S’il voulait demeurer, il devait se contenter de la vie commune, sans espérer aucun empressement ni aucun secours : inoffensive, mais nonchalante, la population ne changeait pour lui rien à ses habitudes. Nulle offre de service, aucune facilité accordée à son ignorance : il devait aller chercher le poisson du pêcheur, le lait de la fermière, le pain du fournier ; le tout lui était accordé avec