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mortelle, et l’admiration des amis du bottier n’empêche pas le pauvre artiste de mourir d’une fièvre chaude au fond de son misérable galetas.

On voit par ces trois nouvelles, la Femme de l’Apothicaire, le Yamtchik et les Galoches, ce que M. Solohoupe sait faire tenir d’émotion et aussi de fine satire dans le cadre étroit d’un simple récit. On comprend aussi le succès qu’obtinrent dans leur nouveauté ces spirituelles et touchantes compositions, où quelque chose de l’esprit de Sterne se mêle à une aisance, à une fermeté de narration qui rappellent souvent la manière énergique et sobre de M. Prosper Mérimée. Sans nous astreindre à l’ordre chronologique, nous passerons par-dessus le Tarantasse, publié après le Narcotique, pour arriver au volume intitulé Hier et Aujourd’hui, où le dilettantisme littéraire de M. Solohoupe s’est donné librement carrière. Ce volume est un recueil de poèmes et d’études en prose, qui ne sont pas tous signés par M. Solohoupe, et où l’on remarque des morceaux empruntés à Joukowsky, à Odoevsky, à Bariatinsky. C’est M. Solohoupe qui a choisi les pièces de cette mosaïque, et qui nous a donné ainsi la mesure de ses goûts littéraires. Un poème de M. Maïkolf, les Rêves, où la verve et l’originalité du jeune écrivain se montrent sous un nouveau jour, y figure à côté de plusieurs fragmens inédits du brillant poète Lermontoff, enlevé si tristement par une mort prématurée aux lettres russes, dont il était déjà la gloire.

M. Solohoupe est représenté dans ce groupe choisi qu’il s’est plu à former lui-même par un petit roman, la Protégée, qui rappelle les plus jolies nouvelles du Narcotique. C’est l’histoire d’une jeune orpheline, d’une fille du peuple recueillie et adoptée par une grande dame, qui lui fait donner une brillante éducation. La jeune personne, à qui sont réservés les grands biens de sa protectrice, est entourée d’adulations: à elle tous les hommages, toutes les prévenances; mais la grande dame meurt tout à coup sans avoir laissé de dispositions testamentaires. Aussitôt tout change de face. La malheureuse Lisinka est chassée de cette maison dont naguère encore elle était l’ame et la vie. Dans son abandon et après avoir tenté tous les moyens d’utiliser ses talens. elle en est réduite à s’enrôler parmi de méchans comédiens forains, qui vont donnant des représentations dans les campagnes. Dès-lors commence pour la jeune fille aux mœurs élégantes et aux sentimens élevés, jetée au milieu de vulgaires histrions, une série de tortures retracées par le romancier avec une vérité poignante. Çà et là des traits comiques, tirés du sujet même, se mêlent à ces tristes tableaux, le rire succède aux larmes, et la peinture de la réalité, qui se complète ainsi, n’en est que d’un effet plus douloureux. On prévoit le dénoûment de cette lutte désespérée d’une ame noble et délicate contre des épreuves supérieures à ses forces. Lisinka perd la raison et meurt : triste leçon donnée à ces riches familles, qui, suivant un usage trop