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exclu de la chambre des communes, et la délibération qui disposait de son siège en faveur du candidat de la minorité restait en pleine vigueur. En matière de privilège, le parlement n’avait rien rétracté, rien abandonné. La dissolution n’en était pas accordée, la réforme n’en était pas imminente, et la ville de Londres s’était épuisée en démonstrations bruyantes, qui avaient fini par altérer l’union et compromettre l’autorité de ses magistrats. Chatham, Rockingham, Shelburne, Grenville, Burke. se consumaient dans une opposition stérile, et lord North, appuyé par la cour, entouré des Grafton, des Mansfield, des Barrington, des Hillsborough, se maintenait fortement dans un pouvoir que seules les victoires des Américains devaient lui faire perdre dix ans plus tard. Il paraît que le découragement gagna Junius. Peut-être avait-il satisfait sa haine en désolant ses adversaires, et tenait-il faiblement à les perdre. Peut-être, content de son succès, sentait-il sa veine épuisée, et craignait-il d’user son talent et de compromettre sa renommée. Peut-être enfin sa sévérité défiante lui avait-elle aliéné même ses auxiliaires et ses cliens, et, las des affaires de ce monde, las des hommes de son temps, a-t-il renoncé à censurer des vices incorrigibles, à soutenir de faibles courages, à louer de chancelantes et suspectes vertus. Dans sa correspondance particulière avec son éditeur, il se montre dégoûté des gens et des choses. Les divisions du parti opposant dans la Cité paraissent surtout l’avoir tout-à-fait découragé : « Si je voyais, dit-il, quelque perspective de le rallier de nouveau, je serais tout prêt à continuer de travailler à la vigne. À quelque époque que M. Wilkes me puisse dire que cette union semble en vue, il entendra parler de moi (5 mars 1772). » Et il ajoute : « Quod si quis existimat me aut voluntate esse mutala, aut debilitata virtute, aut animo fracto, vehementer errat. Adieu. » Mais un an après, le 19 juin 1773, il écrivait à Woodfall, qui voulait le faire sortir de son silence: « Dans l’état présent des choses, si j’allais écrire encore, il faudrait que je fusse aussi stupide qu’un bœuf qui court en fureur à travers la Cité ou qu’un de vos sages aldermen. Je connais la cause et le public ; l’une et l’autre sont perdus. Je souffre pour l’honneur de ce pays, lorsque je vois qu’il ne s’y trouve pas dix hommes qui veuillent s’unir et se tenir ferme ensemble sur une seule question. Mais tout se ressemble, tout est vil et méprisable. »

Junius n’a donc contribué à déterminer aucun événement, à amener aucun résultat qui compte dans l’histoire de l’Angleterre. Il a passé à travers la politique comme un météore menaçant. et n’a laissé après lui qu’un souvenir. Mais, s’il n’a pas influé sur les faits, il aurait pu agir sur les idées, et mettre en circulation quelques théories qui datent de lui. Encore une fois, nous n’en connaissons aucune, à l’exception de sa défense des droits de la presse. Ses doctrines sur la