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les pouvoirs contre elle, alors que, servie et compromise par les tumultes de la cité, elle rencontrait pour ennemie une majorité forte et résolue ? Un seul recours restait. Il fallait en appeler du parlement au peuple. Le dernier espoir était dans de nouvelles élections ; mais la chambre venait d’être élue, et ce n’est pas à elle qu’on pouvait demander de se dissoudre. Ceci conduisit à un procédé d’opposition ou d’agitation qui, sous plusieurs rapports, ne paraît pas irréprochable. Il fallut se retourner du côté du roi, et lui demander la dissolution du parlement. C’était sans doute invoquer l’exercice d’une prérogative toute constitutionnelle, mais c’était témoigner moins de confiance au parlement qu’à la couronne, et distinguer le roi de ses ministres pour l’inviter à déployer contre eux sa force propre et sa volonté personnelle. Sous ce prétexte, il est vrai, il devenait facile de produire ses griefs, d’accuser hautement la chambre et l’administration, et même. en prenant les formes affectées du respect et de la loyauté, de faire entendre au roi de dures vérités ou de cruels reproches. L’arme était trop commode à manier pour que l’opinion populaire manquât de s’en saisir, et Junius, le 10 décembre 1769, écrivit la lettre qui commence ainsi :


« Lorsque les plaintes d’un brave et puissant peuple augmentent visiblement en proportion des injures qu’il a souffertes, lorsqu’au lieu de se plonger dans la soumission on s’est élevé jusqu’à la résistance, le temps doit arriver bientôt où il faut que toute considération secondaire le cède à la sécurité du souverain et à la sûreté générale de l’état. Il y a un moment de difficulté et de danger où la flatterie et le mensonge ne peuvent plus tromper long-temps, et où la simplicité elle-même cesse de pouvoir être égarée. Supposons que ce moment soit arrivé ; supposons un prince gracieux, bien intentionné, qui comprend enfin ses grands devoirs envers son peuple et la disgrâce de sa propre situation : il regarde autour de lui pour trouver assistance et ne demande pas un conseil, mais le moyen de satisfaire les vœux et d’assurer le bonheur de ses sujets. En de telles circonstances, ce peut être matière de curieuse spéculation que de considérer dans quels termes un honnête homme, s’il avait la permission d’approcher le roi, s’adresserait à son souverain. Imaginez, peu importe l’invraisemblance, que le premier préjugé contre ses intentions est écarté, que les difficultés d’étiquette d’une audience sont surmontées, qu’il se sent animé des plus purs et plus honorables sentimens d’affection pour son roi et son pays, et que le grand personnage à qui il s’adresse a assez de cœur pour lui ordonner de parler librement et assez d’intelligence pour l’écouter avec attention, ignorant la vaine impertinence des formes, il exprime ses sentimens avec fermeté et dignité, mais non sans respect. »


Le discours que Junius adresse au roi, à la faveur de cette fiction. est un résumé de toutes les plaintes de l’opposition, présentées cette fois sans violence, mais avec fermeté. Les formes du respect sont