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le plaisir de contempler derrière vous une illustre généalogie dans laquelle les annales héraldiques n’ont point conservé mention d’une seule bonne qualité qui pût vous humilier ou vous faire affront. Vous avez de meilleures preuves de votre descendance, mylord, que les registres des mariages ou quelque importun héritage de réputation. Il est des traits héréditaires de caractère qui peuvent distinguer une famille aussi clairement que les signes les plus noirs de la figure humaine. Charles Ier vécut et mourut hypocrite. Charles II était un hypocrite d’une autre espèce, et il aurait dû mourir sur le même échafaud. À la distance d’un siècle, nous voyons leurs différens caractères heureusement revivre et s’unir dans votre grâce. Maussade et sévère sans religion, roué sans gaieté, vous menez la vie de Charles II, sans être un aimable compagnon, et, autant que j’en puis connaître, vous pouvez mourir de la mort de son père sans la réputation d’un martyr. »


Nous ne citons point ce passage comme un des meilleurs de l’auteur, mais comme un exemple de ses emportemens. Il n’est pas plus modéré lorsqu’il abandonne un moment le premier ministre pour se jeter sur le duc de Bedford. Sa lettre à ce dernier est un de ses chefs-d’œuvre, non pour la mesure et l’équité, mais pour la fermeté et la hauteur, pour la force du langage et l’habileté de la composition. Le duc de Bedford, héritier du nom de la plus grande famille qu’ait héréditairement illustrée l’amour de la liberté, était puissant par son rang, sa fortune, sa clientelle. On louait son caractère privé, ses mœurs simples, son goût pour les travaux des champs, sa fidélité pour ses amis. Son expérience parlementaire ajoutait à son influence. Whig décidé, mais jaloux, violent, obstiné, sans talens personnels et d’une intelligence ordinaire, il était entouré de quelques amis politiques qui, prétendant former un parti intermédiaire, se faisaient plus ménager qu’estimer, et savaient mieux enrayer que conduire. Depuis que le duc de Bedford avait négocié la paix de Paris, si vivement reprochée à lord Bute, sa popularité était compromise, et le duc de Grafton, en se jetant dans ses bras, ajoutait à toutes ses légèretés le scandale d’une apostasie. « Vous aurez, lui écrivait Junius en terminant une de ses sanglantes épîtres, vous aurez vécu sans vertu et vous mourrez sans repentir. » Cependant Bedford était si puissant et en somme si considéré, que l’on put craindre un moment sa vengeance, et l’éditeur du journal se crut menacé d’un procès. « Que les amis du duc de Bedford gardent cet humble silence qui convient à leur situation. Ils devraient se souvenir qu’il y a encore des faits en réserve qui feraient frissonner la nature humaine ; je serai compris par ceux que cela concerne, quand je dirai que ces faits vont plus loin que le duc lui-même. » Et dans un billet particulier adressé à Woodfall : « Quant à vous, c’est une opinion évidente pour moi que vous n’avez rien à craindre du duc de Bedford. Je lui réserve certaines choses pour le tenir en respect, au cas où il