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composé son ministère. Ne comptant que sur lui-même, peu propre à se servir des hommes, dédaignant et de les employer et de les craindre, il s’était mis de son plein gré en minorité dans le cabinet. Entouré d’ennemis puissans, whigs ou tories, il avait bientôt aperçu la faiblesse de la combinaison. Son ascendant personnel pouvait y remédier, mais il lui aurait fallu la plénitude de ses forces et un autre point d’appui que la chambre des pairs. Claquemuré par la goutte à Hayes, à Bath, à Burton-Pynsent, il tomba dans une incapacité d’agir dont la cause, dont la durée irritait et affaiblissait ses nerfs et son esprit, au point qu’il courut d’étranges bruits sur sa raison. Il espéra long-temps tout effacer, tout racheter quelque jour par un coup d’éclat ; mais, en attendant, le ministère, abandonné sans guide, se divisait, s’abaissait, et tombait sous l’influence de l’intrigue et de la cour. Le duc de Grafton, plus vain qu’ambitieux, d’un esprit vif et léger, sans étendue ni fixité, souvent entraîné par la prévention et le caprice, ne savait ni recevoir, ni donner, ni maintenir une direction. Humilié de la faiblesse de son administration, il cherchait sans cesse à la fortifier par des négociations diverses, par des alliances contradictoires, et il venait de se rapprocher du duc de Bedford, compromis à la suite de lord Bute. Des places dans le cabinet avaient payé les frais de cette alliance nouvelle. Depuis que Conway avait cessé d’être secrétaire d’état, depuis que Chatham et Shelburne, en se retirant, avaient comme déclaré le changement de la politique, Camden, Hawke, Granby, n’étaient plus suffisans pour conserver au cabinet un peu de sa couleur primitive. En présence des accusations formidables que, par un tel abandon de ses amis, bravait le duc de Grafton, en présence d’un mouvement d’opinion populaire plus formidable encore, il lui fallait bien, au risque de démentir tous ses antécédens, tendre à l’excès les ressorts du gouvernement, résister à outrance, rallier toutes les influences de la cour, de l’intrigue, de la corruption, et s’exposer ainsi au reproche bien ou mal fondé de plier sous le patronage clandestin de lord Bute. Quelle matière à l’indignation et à l’éloquence de Junius ! quelle proie tombait vivante dans ses cruelles mains !

Il faudrait abuser des citations pour faire connaître la guerre terrible qu’il engagea contre le premier ministre. Il n’épargne rien, ni sa conduite, ni son esprit, ni son cœur, ni son caractère, ni ses mœurs. Un seul fragment montrera à quelles extrémités il porte la violence de ses invectives.


« Le caractère de ceux qui sont réputés les ancêtres de certains hommes a rendu possible à leurs descendans d’atteindre sans dégénérer aux extrémités du vice. Ceux de votre grâce, par exemple, n’ont laissé aucun exemple embarrassant de vertu même à leur légitime postérité, et vous pouvez vous donner