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compétence. Cependant elle avait fixé un jour pour entendre l’inculpé, lorsqu’une scène, qui se passa dans l’autre chambre, vint couper court à ce nouveau procès. Samuel Martin, précédemment secrétaire de la trésorerie sous l’administration de lord Bute, et que les sarcasmes du North Briton n’avaient pas épargné, dit au milieu du débat en regardant fixement Wilkes : « Celui qui poignarde une réputation dans l’ombre, et sans dire son nom, est un lâche et infâme coquin ! » Et il répéta même ces mots avec l’accent d’une violente colère. Wilkes supporta l’attaque de l’air d’une parfaite indifférence ; mais, en quittant la séance, il fit appeler Martin, et ils se battirent le jour suivant dans Hyde-Park. Ils firent feu de leurs pistolets, d’abord sans se toucher ; mais, au second coup, Martin logea une balle dans le côté de son adversaire, qui jeta son arme, lui dit de songer à sa sûreté et lui promit de ne jamais dire un mot contre lui. La blessure était dangereuse. Quand Wilkes eut été reporté chez lui, le peuple entoura sa maison en poussant des cris de mort contre ceux qu’il appelait ses meurtriers. « Si le héros doit en mourir, écrivait alors Horace Walpole, l’évêque de Gloucester peut lui assigner la place qu’il voudra ; mais Wilkes passera pour un saint et un martyr. On n’entend parler que de l’impiété de lord Sandwich et de son accord parfait avec Wilkes. Sous ce rapport, l’ouvrage qualifié de blasphématoire tombe d’un plus grand poids sur la tête du premier que sur celle du second, » — « Votre cousin Sandwich, écrivait-il encore à George Montagu, s’est désandwiché lui-même. Il a intenté une poursuite en dégradation contre Wilkes pour un poème blasphématoire, et il a été lui-même expulsé pour blasphème du Beefsteak-Club à Covent-Garden. Wilkes a été blessé par Martin, et, au lieu d’être brûlé dans un auto-da-fé, comme l’entendait l’évêque de Gloucester, il est révéré comme un saint par la multitude, et, s’il meurt, je prévois que le peuple se tordra en convulsions sur son tombeau en l’honneur de sa mémoire. »

Cependant la question vint en discussion devant la chambre, malgré l’absence du principal intéressé. Il s’agissait de savoir si le privilège de membre du parlement allait jusqu’à le soustraire au droit commun en cas de publication séditieuse, en un mot s’il pouvait être arrêté sans l’autorisation de la chambre. Pitt, qui souffrait de la goutte et de ces infirmités compliquées qui furent le fléau de sa vie politique, se fit porter, tout malade, tout enveloppé de flanelles, à la séance, et il défendit vivement le privilège parlementaire. Il s’était, dans la précédente délibération, associé à la condamnation du journal. Quoique son beau-frère, lord Temple, eût vivement protégé et, dit-on, inspiré l’auteur, Pitt déclara qu’il ne le connaissait pas. Il le détestait, lui et ses principes. C’était un homme qu’on ne devait pas compter dans l’espèce humaine ; c’était le blasphémateur de son Dieu et le diffama