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camps opposés de l’aristocratie et de la démocratie pour ne laisser apparaître, à la fin du combat, que la France et le roi. Il s’en tient à la mercuriale et aux réprimandes, et n’a point la dialectique cruelle et directe, l’accent de juge irrité du grand ultramontain. Nous n’avons dans Mallet que la monnaie des théories de ses trois illustres contemporains ; cela est vrai, mais c’est avec ce cuivre qu’ils ont composé leur or. On ne peut établir aucun corps de doctrine sur les idées de Mallet, parce qu’elles sont trop disséminées, mais elles peuvent nous servir de pierre de touche pour vérifier bien des pensées, bien des détails, pour les éprouver et les juger. Ce qui fait l’originalité de Mallet, c’est une indépendance absolue de caractère. In medio stat virtus, telle est la devise de Mallet. Il voudrait maintenir droite cette société battue de vents contraires sans la faire pencher vers aucun parti extrême. Écrivant pour la France, Mallet s’est dépouillé de toutes ses opinions de Genevois, de protestant, de républicain ; il sait qu’il écrit pour une nation qui n’a point les traditions, les mœurs de son pays ; ce n’est pas un mérite médiocre, et de plus grands que lui n’ont jamais pu, dans des situations semblables à la sienne, se délivrer de leurs opinions. Protestant, il prit la défense du clergé catholique contre ces « athées qui détruisaient la religion pour ramener le christianisme primitif ; » républicain, il fut un des plus courageux défenseurs de Louis XVI ; émigré, il brava les fureurs de Coblentz, et conseilla à Louis XVIII l’acceptation du régime constitutionnel ; écrivain, il eut le courage (ce qui est rare) de dire à ses lecteurs que lire des brochures n’était pas suffisant en temps de révolution.

Mallet appartenait au parti constitutionnel ; il nous aide à le bien connaître, et nous offre l’occasion de passer du tableau de la révolution à quelques-uns de ses acteurs. Ce parti s’est divisé dès l’origine en deux grandes fractions, les constitutionnels royalistes, qui eurent pour chefs Mounier et Malouet, et les constitutionnels jacobins, qui marchaient sous la bannière du triumgueusat, pour parler comme Mirabeau. De ces deux faactions, la première est la plus honorable ; mais, en vérité, c’est tout ce que nous pouvons dire de mieux sur son compte. Obstinément systématiques et systématiquement obstinés, les constitutionnels n’eurent jamais les qualités qu’on doit exiger des chefs de parti, encore plus des hommes politiques mis en demeure de fonder des institutions qui n’ont pas encore été essayées. Natures légèrement sèches et presque scholastiques, ils savent trop à fond leur doctrine, ils ont trop d’érudition constitutionnelle pour s’accommoder aux circonstances et ne pas voir que ce qu’on fonde à côté d’eux n’est pas absolument semblable à ce qu’ils ont appris et à ce qu’ils se croient en droit d’enseigner. La plus légère infraction aux règles constitutionnelles les jette dans l’état d’un helléniste qui aperçoit dans un exemplaire précieux une faute typographique. Cette trop grande érudition