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Wampoa. Ce fut donc sans avoir une seule fois labouré le fond qu’après trente heures de louvoyage et plus de soixante viremens de bord, nous laissâmes enfin tomber l’ancre près de l’île Danoise, île montueuse et élevée qui sépare du canal de Wampoa et de la rivière des Jonques le bras méridional du Chou-kiang.

Dans les îles de la Malaisie, les teintes riches et variées, les lignes hardies du paysage captivent seules-et absorbent l’attention. Sur les côtes de Chine, ce n’est plus la nature libre et fière, mais l’activité humaine que le voyageur admire. Trois cents navires européens visitent annuellement le mouillage de Wampoa. Autour de ces navires s’agite sur le fleuve et sur les deux rives tout un peuple qui ne vit que du superflu des barbares. Des milliers d’embarcations circulent dans les canaux qu’on voit de tous côtés se perdre dans les terres. Le mouillage de Wampoa est la rade de Canton, et Canton est demeuré, malgré l’ouverture des ports du nord, le principal entrepôt du commerce extérieur de la Chine. Le mouvement des échanges s’y élève chaque année, sans compter le trafic illicite de l’opium, à plus de 140 millions de francs. Les navires anglais occupent ordinairement l’entrée du canal et viennent mouiller près de l’île Danoise. C’est là qu’au milieu des nombreux clippers, on aperçoit souvent ces larges country-ships de Bombay, qui, par leur tonnage, par l’élévation de leur batterie et de leur mâture, n’eussent point déparé les flottes marchandes que la compagnie des Indes expédiait autrefois dans les mers de l’extrême Orient. Plus à l’ouest, et non loin du village de Wampoa, les rivaux déjà redoutables du commerce britannique font flotter le pavillon étoile des États-Unis. Le Samuel Russell, l’Aigle, le Sea-Witch, offrent aux regards curieux du marin leurs coques longues, effilées, aux coutures imperceptibles, noires et brillantes comme un plateau de laque. Les Américains ne consacrent encore que soixante navires au commerce de la Chine, ils ne transportent des rivages du Céleste Empire dans les ports de l’Union qu’une valeur de 50 millions de francs; mais l’avenir est à eux, et toutes leurs opérations révèlent l’admirable confiance qui fait la force de cette race entreprenante. C’est en face du mouillage des navires américains que s’est établi le naissant arsenal de Wampoa. De nombreux bâtimens y trouvent déjà, pour réparer leurs avaries, plus de facilités qu’ils n’en rencontreraient à Macao ou à Hong-kong. Le Chinois ne connaît point d’obstacles, dès que l’appât du gain a stimulé son industrie. S’il faut des bassins pour recevoir les carènes ébranlées par la tempête, il creusera des bassins dans l’argile de la rive. Une vase compacte servira de porte à ce dock improvisé, dans lequel le Léviathan européen a pu s’introduire à l’aide de la marée montante. Dès que les réparations seront achevées, le grossier barrage, attaqué par la pioche, disparaîtra comme par enchantement, et le navire,