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les anxiétés publiques, ni les exigences hebdomadaires d’un travail où tout autre s’épuiserait, et où sa verve semble au contraire se rajeunir et se retremper. Qu’on y prenne garde pourtant! Entre ces deux livres, si différens de physionomie et d’allure, la distance n’est pas si grande qu’on pourrait le croire. Ne serait-ce pas une curieuse et instructive étude que celle qui nous ferait assister à la filiation intérieure des ouvrages de l’esprit, et découvrir par quelles affinités secrètes une imagination flexible peut tour à tour aborder, tout en continuant une même série d’idées, les sujets les plus divers et en apparence les plus contraires? Ainsi, en lisant ce titre, les Gaietés champêtres, en ouvrant ces premières pages où l’idylle poudrée et musquée se joue en toute licence, on s’étonne d’abord, on est tenté de se plaindre que l’auteur ait si cruellement réussi à s’abstraire de nos tristesses et de nos angoisses. On se demande comment toutes ces fleurs de style, d’atticisme et d’élégance, dons fragiles des jours heureux, ont pu résister aux jours de détresse, et comment M. Janin a pu garder, au milieu de nos misères, tant de joyaux et de perles. Toutefois, en y regardant de plus près, en essayant de surmonter les éblouissemens de ce feu d’artifice en deux volumes, l’étonnement cesse et le contraste s’amoindrit. M. Janin, je l’imagine, ainsi qu’il nous l’indiquait, il y a dix-huit mois, dans la belle préface de sa Religieuse de Toulouse, avait été amené à écrire ce livre par cette espèce de besoin qu’éprouvent, en temps de révolution, les esprits délicats, d’échapper aux vulgarités grossissantes, et de se renfermer dans un sujet d’étude où l’amour des lettres sérieuses, de la raison aiguisée par le goût, puisse s’indemniser et se complaire. Pour une intelligence vive et mobile, que d’horizons nouveaux, que de perspectives inattendues, devaient se développer et s’ouvrir, aux alentours de cette grave histoire de la maison des Filles de l’Enfance, sœur cadette de Port-Royal? Les luttes du jansénisme, ces grandes batailles théologiques qui passionnèrent le grand siècle et auxquelles Jeanne de Mondonville prit part comme une sorte d’intrépide Clorinde, préparèrent les luttes philosophiques du siècle dernier, et peut-être celles-ci ne furent si meurtrières et si destructives que parce que celles-là avaient été suivies d’une répression si rigoureuse et si despotique. Un des hommes les plus spirituels de ce temps-ci trouve, dit-on, un douloureux plaisir à se demander parfois ce qui serait arrivé, si Louis XIV eût penché vers le jansénisme et, par cela même, l’eût modéré en le consacrant de son assentiment royal et suprême, au lieu d’envenimer par des persécutions l’esprit de résistance et de révolte que ces doctrines renfermaient en germe. Autant qu’on peut affirmer dans le domaine des suppositions et des conjectures, il est permis de croire que le triomphe des idées philosophiques et, à leur suite, des violences révolutionnaires eût été ajourné et peut-être adouci. Ce qui est positif du moins, c’est qu’en vertu de cette loi de réaction qui gouverne et explique tout dans notre malheureux pays, la licence des mœurs, l’audace des attaques, la fièvre de démolition et de contrôle, l’irrésistible entraînement vers les précipices et les aventures, toutes les corruptions brillantes qui allèrent en s’exagérant sans cesse sous un règne avili et aboutirent à l’abîme eurent pour point de départ, pour prétexte et pour prélude, ce système de compression universelle dont le grand règne s’enveloppa en vieillissant, comme d’un crêpe de deuil après tant de magnificences et de gloires.